A propos de Sarah, la jeune fille homosexuelle de Freud

Liliane Fainsilber

 

Avant de me lancer dans la lecture du cas de la jeune homosexuelle, celle que prénommée Sarah, j'ai relu ce que Freud raconte de l'homosexualité dans les trois essais sur la sexualité et, à cette occasion, j’ai aussi relu, dans le Banquet de Platon, le mythe d'Aristophane, comment l'homme/femme qui ne faisait qu'un a été un jour coupé en deux par Zeus et comment le désir de se recoller l'un à l'autre, de ne faire à nouveau plus qu'un est ce qui définit l'amour.

Un petit retour au mythe d’Aristophane

Approche freudienne de l’inversion ou de l’homosexualité

Freud évoque une première fois la question de l’homosexualité ou inversion dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité.

Pour l’introduire, il se réfère au grand mythe d’Aristophane tel qu’il est raconté dans le Banquet de Platon. Il en profite pour définir, en l’évoquant, ce qu’est la pulsion sexuelle.

Il écrit « Nous trouvons la meilleure interprétation de la notion populaire de pulsion sexuelle dans la légende pleine de poésie selon laquelle l’être humain fut divisé en deux moitiés – l’homme et la femme –qui tendent depuis à s’unir par l’amour. C’est pourquoi on est étonné d’apprendre qu’il y a des hommes pour qui l’objet sexuel n’est pas la femme, mais l’homme, et que, de même, il y a des femmes pour qui la femme représente l’objet sexuel. On appelle les individus de cet espèce : homosexuels ou mieux invertis.

Or il est curieux que Freud soit étonné de l’existence de ces inversions parce que dans ce mythe d’Aristophane, ces deux autres possibilités ont tout a fait été prévues.

« Jadis, raconte Platon, par l’entremise d’Aristophane, notre nature n’était pas ce qu’elle est maintenant… D’abord il y avait trois espèces d’hommes, et non deux, comme aujourd’hui : le mâle, la femelle et outre ces deux-là, une troisième composée des deux autres. Le nom seul en reste aujourd’hui, l’espèce a disparu.

C’était l’espèce androgyne qui avait la forme et le nom des deux autres, mâle et femelle dont elle était formée. Aujourd’hui elle n’existe plus, ce n’est plus qu’un nom décrié ».

Chacune de ces espèces d’hommes – les trois formes – était de forme arrondie avec quatre bras, quatre jambes, quatre oreilles et deux organes de la génération. Pour marcher ils faisaient la roue comme des saltimbanques en prenant appui sur leurs huit membres, leurs quatre pieds et quatre mains.

Ils ont tenté d’escalader le ciel pour s’attaquer aux dieux et du coup ils se firent tous couper en deux. Ils ont encore eu de la chance de n’être coupés qu’en deux, car les dieux pour les punir faillirent même les couper en quatre. Du coup au lieu de marcher sur leur deux jambes, ils auraient été condamnés à marcher sur une seule jambe à cloche-pied.

Mais même simplement coupés en deux, ils furent très malheureux. Ils mouraient de faim et d’inaction et essayaient en vain de recoller les morceaux, en se serrant les uns contre les autres.

Alors Zeus, ému par leur détresse, imagina de déplacer leurs organes génitaux qui se trouvaient jusqu’alors derrière, dans leur dos, sur le devant. Ce qui fait qu’ils purent copuler entre eux et engendrer ensemble, le mâle dans la femelle.

Mais dans cette perpective, seule l’homosexualité masculine est évoquée : « si l’étreinte avait lieu entre un homme et une femme, ils enfanteraient pour perpétuer la race, et si elle avait lieu entre un mâle et un mâle, la satiété les sépareraient pour un temps, ils se mettraient au travail et pourvoieraient aux besoins de l’existence ».

Dans ce mythe, l’homosexualité féminine, n’est pas prise en compte.

En tout cas ce mythe permet à Aristophane de définir ce qu’est l’amour : « il recompose l’antique nature, s’éfforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine »

L’inversion dans les trois essais sur la théorie de la sexualité

Dans ce texte, Freud aborde apparemment toutes les thèses ou les préjugés ayant cours à propos de l’homosexualité.

Il en retient trois :

Rejette d’un revers de main ce qu’il en est de la dégénérescence. Par contre s’arrête davantage sur le fait de savoir si l’homosexualité est congénitale ou acquise. Mais il laisse me semble-t-il la réponse à cette question en suspens, pour prendre, pour le coup, au sérieux la question de la bi-sexualité, si chère à son ami Fliess.

Il me semble qu’il entre alors pleinement dans l’approche analytique de cette question en considérant d’une part, ce qu’il en est de l’objet, d’autre part, du but.

Ce qui caractérise l’inversion c’est le choix de l’objet. Mais ce choix n’est pas à proprement parler homosexuel, c’est plutôt, selon Freud, un retour à cet homme complet, homme et femme, celui qui faisait boule. Ce qui est cherché dans l’objet ce sont à la fois les attributs féminins et masculins de l’objet.

Je reprends ce passage du texte où il décrit ces particularités de l’objet : « Dans ce cas, comme dans bien d’autres, l’inverti ne poursuit pas un objet du même sexe que lui, mais l’objet sexuel unissant en lui-même les deux sexes ; c’est un compromis entre les deux tendances, dont l’une se porterait vers l’homme et l’autre vers la femme, à la condition expresse toute fois, que l’objet de la sexualité possédât les caractères anatomiques de l’homme ( appareil génital masculin) ; ce serait, pour ainsi dire, l’image même de la nature bisexuelle(ajouté en 1915).

Cette remarque est intéressante parce que c’est par ce biais là que l’homosexualité rejoint, ou plus exactement, entre dans le cadre de la structure de la perversion.

Dans ce texte de Freud, comme dans le mythe d’Aristophane, rien n’est dit de l’homosexualité féminine. Rien non plus sur la nécessité de la présence de l’appareil génital masculin attribué à l’objet ? Est-elle nécessaire également pour les homosexuelles femmes ? Tout semble le démentir mais est-ce si sûr ? Laissons la question en suspens parce que dans cette idéalisation de sa Dame qui spécifie la relation de la jeune homosexuelle à son objet, cette exigence du phallus y est peut-être prévalente encore que de façon masquée. .

Quand donc Freud reprend cette question de l’homosexualité dans son texte « Psychogénèse d’un cas d’homosexualité féminine », il explore un terrain vierge, et il le fait, comme à son habitude, en partant de la clinique analytique.

En effet, dans cette première partie, son introduction, Freud n’évoque cette question de l’inversion, que par rapport à la question de l’efficacité du travail analytique quant à la possibilité de modifier cette inversion ou cette homosexualité (définie par rapport à l’objet : L’homosexuel ou inverti est celui qui choisit un objet de son propre sexe).

Ce qu’il donne comme argument c’est le fait que cette jeune fille homosexuelle n’est pas malade et que donc la tâche « commandée » ne consistait pas à l’aider à résoudre un conflit névrotique mais « à faire passer l’une des variantes de l’organisation sexuelle génitale dans l’autre de ses variantes ».

Freud n’attend pas grand succès de cette entreprise de dégagement « de la voie jusqu’alors barrée menant à l’autre sexe »

Je trouve que cette phrase à propos de la jeune fille homosexuelle est particulièremnt juste si on pense que c’était sa mère qui lui barrait la voie.

Il donne deux raisons pour qu’un sujet homosexuel entreprenne une analyse et souhaite donc abandonner « son objet de plaisir », ce sont tout d’abord des motifs extérieurs, « les inconvénients et les dangers sociaux de son choix d’objet », mais en fait même ces raisons révèlent un « plan secret » celui de s’être prouvé qu’il n’y avait vraiment rient à faire, qu’il avait tout essayé et qu’il ne lui restait plus qu’à accepter son homosexualité.

La seconde raison avancée serait un peu plus favorable quant à ce qu’on pourrait attendre de l’analyse, dans le cas où c’est pour ménager les parents ou la famille que ce travail analytique serait entrepris. Mais même dans ce cas, les forces libidinales engagées ne seront pas assez puissantes pour lutter contre ce choix d’objet.

Le travail avec cette jeune fille se présentait quand même sous de bons auspices puisqu’elle affirmait que « pour ses parents, elle voulait loyalement prêter main-forte à la tentative thérapeutique ».

La question qui est évoquée ensuite – n’est abordée que par rapport à des non-analystes, comme si les analystes n’avaient pas à se la poser - est celle de l’homosexualité congénitale ou acquise, elle se redouble et se superpose à cette autre question celle qu’il appelle l’hermaphrodisme psychique ou somatique.

Et Freud nous en livre cette formule écrite en italique : « le degré d’hermaphrodisme psychique est dans une large mesure indépendant de l’hermaphrodisme physique »

A propos de la jeune fille homosexuelle, il indique quelques éléments de ce qui serait son hermaphrodisme physique, donc ses traits virils en décrivant sa grande taille et son visage aux traits accusés comme celui de son père.

Quant à sa virilé psychique – et là nous ne pouvons que constater les préjugés de Freud concernant les femmes, préjugés qui sont ceux de son milieu et de son époque - : « On pouvait aussi rapporter à la nature masculine quelques-unes de ses qualités intellectuelles, ainsi l’acuité de son intelligence et la froide clarté de sa pensée dans la mesure où elle n’était pas sous la domination de sa passion ».

Mais il décrit aussi comme attribut de sa virilité psychique, donc de son hermaphrodisme, ce qu’il appelle « son comportement vis à vis de l’objet d’amour ».

« Elle montrait l’humilité de l’homme amoureux, son enphatique surestimation sexuelle, ainsi que le renoncement à toute satisfaction narcissique et la préférence accordée au fait d’aimer plutôt que d’être aimée. Elle avait donc non seulement choisi un objet féminin, mais aussi pris à son égard une position masculine ».

Reste donc à savoir comment elle a pu en arriver là. C’est ce que Freud va nous démontrer dans la seconde partie de son texte.

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