La boite à bijoux et les bijoux de famille

Lecture de la page 49 à 51

Freud, poursuivant son analyse du premier rêve de Dora, fait un détour pour décrire le mécanisme de la formation du rêve.
Page 49.
Ce détour est un moment charnière,
- entre ce que manifeste son rêve à un premier niveau, au niveau du pré-conscient, ce qu'il appelle la décision de Dora d'écourter, au plus tôt, son séjour chez les K. et son désir d'écourter son analyse.
- et ce qu'il en est du désir inconscient de rêve qu'il nous reste donc à découvrir.

Entre les deux, ce que raconte Freud sur les mécanismes du rêve sert de charnière. On passe d'un niveau à un autre. Nous entrons ainsi au cœur de la névrose de Dora.

Un résumé de l'interprétation des rêves :

Freud y avait affirmé ceci :
" Seul un désir inconscient ou plongeant dans l'inconscient était capable de former un rêve ".
Mais il rajoute tout ce qu'il aurait pu dire à la place - ce qui aurait bien arrangé les choses, en ce sens qu'il aurait pu à ce moment là susciter l'assentiment de tous - que le rêve pouvait être aussi une fois, un désir accompli, une autre fois une crainte réalisée, une autre fois encore une décision prise, comme dans ce rêve de Dora, ou encore une production intellectuelle prolongeant l'activité et les préoccupations du jour, tout cela est vrai, mais c'est quand même le désir inconscient qui mène le jeu et qui a en fait le dernier mot. Sans lui le rêve ne peut pas se former.
Et c'est ce que Freud va démontrer avec ce rêve de Dora qu'il va continuer à analyser.
Il va y avoir un au-delà de cette première interprétation superficielle du rêve, concernant sa décision de fuir ce lieu de perdition.

Le faux-pas de Freud
p. 51 et 52

Toute cette partie du rêve telle que Freud la déchiffre porte sur la boite à bijoux, comme étant un symbole de l'organe génital féminin comme le sac ou le porte-monnaie.

Là, Freud se risque à des interprétations en cascade qui ne sont pas fausses - bien loin de là - mais qui n'en sont pas moins risquées, parce qu'il s'empresse de leur donner une signification.

Freud cependant déploie toute une condensation signifiante autour de la boite comme réceptacle, mais aussi des bijoux, avec une série de renversements :
- Etre mise en danger par son père/ être sauvé d'un danger par lui.

- Donner/recevoir des cadeaux, accepter/repousser ces cadeaux, ce qu'avait fait sa mère,
- Repousser monsieur K. - se refuser - ce que faisait Madame K - ou se donner à lui…

Là Freud, devant cette série d'objets d'échange, force si on peut dire la note du côté où Dora devrait tomber, du côté de son amour pour Monsieur K. Donc, il est question de savoir - pour Freud - si Monsieur K pourra être ou non son objet d'amour et surtout si elle acceptera d'être aimée de lui.

Or il me semble que si Freud s'était contenté de souligner cette série d'équivalences du côté des bijoux, cadeaux à recevoir ou à donner, ainsi que le désir d'être sauvée par son père de cette situation de danger, cela les aurait mis tous les deux sur la piste d'un désir d'enfant ou de phallus, ce qui aurait laissées intactes toutes les ambiguïtés de la situation de Dora quant au choix de son sexe. Donnerait-elle ou recevrait-elle ces bijoux ?
On parle en effet des bijoux de famille, et ce ne sont pas forcément les femmes qui les portent.
Pour pouvoir porter des bijoux précieux - ce que Dora ne peut plus faire - il faut accepter de ne pas en avoir.
Entre la boite et le bijou, il faut choisir. Dora n'était pas encore à même de faire ce choix. L'analyse le lui aurait permis, à terme, mais là, c'était Freud qui choisissait pour elle. Or c'était beaucoup trop tôt.

Autre point à souligner, avec ce thème nouvellement apparu, celui de la boite et des bijoux, nous avons, au moins momentanément quitté le registre oral, pour le registre anal, avec ce que Freud a appelé la grande équation symbolique, une série d'équivalences, des objets qui se laissent facilement échanger : merde, argent, cadeaux, bijoux, pénis, enfants.

En note 2 de cette page 51, Freud nous indique qu'il a parfaitement repéré ce qu'il en était du transfert : à savoir que son père avait également mis Dora en danger en la " forçant " à venir voir Freud et à se faire traiter par lui. Il était grand temps qu'elle prenne la fuite.
On s'aperçoit alors, me semble-t-il là où Freud a fait une erreur : il fait porter son interprétation justement sur le désir qu'aurait Dora de combler Monsieur K. et Freud lui-même, au lieu de poursuivre le déchiffrage de ce rêve, sans coup férir.
Ce à quoi il arrive effectivement dans les pages qui suivent en reprenant ce qui l'avait fait tiquer dans le récit du rêve de Dora " on peut avoir besoin de sortir la nuit ". Là est sans doute le secret du rêve.

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