Clichés et protypes
ou encore Imagos
Liliane Fainsilber
Donc j'espérais avec
ce texte "la dynamique du transfert" éclairer le texte
de Lacan "Intervention sur le transfert" que j'avais préjugé
de lecture fort difficile. Or cela a été une surprise
pour moi, c'est celui qui était sensé devoir nous aider
qui s'est avéré le plus coton.
Cette difficulté tient
tout d'abord au fait que ce texte date de 1913, donc treize ans après
le récit de l'histoire de Dora et quinze après ( je n'ai
pas vérifié les dates ) les Etudes sur l'hystérie
et Freud a donc pris de l'assurance et de la bouteille.
Cependant il n'a pas encore découvert son " au delà
du principe de plaisir " et l'automatisme de répétition
et je me suis demandée si ce n'était pas cette non prise
en compte qui ne rendait pas ce texte si difficile.
De cet automatisme, on en trouve cependant déjà une trace
sous un nom qu'il introduit, celui de " clichés " qui
implique moyen de reproduction à partir d'un modèle initial,
un prototype.
J'ai repéré
dans ce texte cinq termes avancés par Freud qui ne sont pas évidents
à faire tenir ensemble. Tout d'abord celui de " cliché
" que je viens d'évoquer, celui de " prototype "
et celui de séries, puis faisant référence à
Jung, apparaît le terme d' " Imago " enfin celui de
" complexe pathogène ".
Ce sont ces quatre termes que je vais essayer de préciser et
d'articuler entre eux, si possible.
1 - Clichés, prototype
et séries
Je me suis en effet demandé à quoi pouvait correspondre,
au temps de Freud, ce terme de cliché. En furetant dans le dictionnaire
j'ai découvert l'existence du verbe clicher qui s'est fabriqué
à partir d'une onomatopée, soit le bruit que fait une
plaque de métal en fusion quand elle est rabattue sur des lettres
d'imprimerie mobiles.
Un cliché est donc plus qu'un terme de photographie, un terme
d'imprimerie: C'est une planche métallique portant en relief
la reproduction d'une composition typographique ou d'une image en vue
de son impression.
Quel usage Freud fait-il de ce terme :
Il l'utilise pour décrire les conditions de la vie amoureuse
qui se réalisent selon " certains clichés "
donc des reproductions d'images ou de textes,
Tout individu, nous raconte Freud, de par l'action concomitante d'une
prédisposition naturelle et de faits survenus dans son enfance
possède une manière d'être personnelle, déterminée
de vivre sa vie amoureuse. En fait il précise en note que ce
qui détermine les composantes de la vie amoureuse - et elles
sont d'ordre " pulsionnel ", c'est d'une part les événements
fortuits de l'enfance mais également les éléments
fortuits " qui ont influencés la série infinie de
nos ancêtres ". C'est cela pour Freud, le " constitutionnel
".
Donc cette vie amoureuse se manifeste sous forme de " clichés
" qui se répètent tout au long de la vie mais qui
sont quand même susceptibles d'être modifiés. Ils
ne sont pas uniques. Il peut y en avoir plusieurs.
Mais en se répétant ils constituent des " séries
". Ce mot est également dans le texte de Freud.
En fonction de ces séries
de clichés, Freud introduit alors la personne du médecin
:
" Tout individu auquel la réalité n'apporte pas la
satisfaction entière de son besoin d'amour se tourne inévitablement,
avec un certain espoir libidinal, vers tout nouveau personnage qui entre
dans sa vie
Ainsi que nous le prévoyons, cet investissement
(libidinal) va s'attacher à des prototypes, conformément
à l'un des clichés déjà présents
chez le sujet en question. Donc là il s'agit du " protos
" du premier modèle qui a inauguré les reproductions,
leur à donné formes.
Mais l'analyste, peut également s'intégrer dans l'une
des séries déjà constituées.
En voici un exemple, Freud trouve place dans la série des "
hommes de paille " de Dora qui va de son frère, à
son père, en passant par Monsieur K. , Freud y arrivant en dernier
et " disparaissant dans le trou du souffleur " comme nous
l'indique, non sans humour, Lacan.
Il reste à préciser
deux autres termes non moins important celui d'Imago, que Freud emprunte
à Jung et également celui assez mystérieux de "
Complexes pathogènes ". Je me demande si ce terme n'est
pas également emprunté à Jung. En 1913, la correspondance
de Freud et de Jung battait son plein et eux ne se battaient pas encore
froid.
2 -le concept de l'imago
Ce terme d'imago a certes été utilisé par Freud.
Mais pas très souvent. Je me souviens qu'il évoque l'imago
maternelle originelle avec les craintes d'empoisonnement qu'elle provoque
chez la petite fille dans ses textes sur la sexualité féminine
et qu'une autre fois, dans les "Essais de psychanalyse", il
décrit les liens sensuels au premier objet d'amour "ou à
son prototype (imago)". Ce sont les deux seules occurrences que
j'ai retrouvées parce qu'en fait ce terme d'imago a été
surtout employé par Mélanie Klein notamment à propos
de ce qu'elle appelle la primitive enceinte du corps maternel ou encore
L'imago du parent combiné, sorte de monstre biparental proche
de la bête à deux dos.
Pour décrire ces imagos, Lacan évoque tout d'abord quelques
personnages nés de la Commedia del Arte: "On peut y reconnaître
les personnages même qu'ont typifié le folklore, les contes,
le théâtre... l'ogresse, le fouettard, l'harpagon, le père
noble et la figure d'Arlequin, puis il les aborde dans le champ théorique.
C'est en étudiant le stade du miroir que Lacan s'est lui intéressé
à la fonction de l'Image et de l'imago.
Voici une des définitions les plus explicites qu'il a donné
de ce concept de l'imago :
"L'histoire du sujet se développe en une série plus
ou moins typiques d'identifications idéales qui représentent
les plus purs des phénomènes psychiques en ceci qu'ils
révèlent essentiellement la fonction de l'imago et nous
ne concevons pas le moi autrement que comme un système central
de ces formations, système qu'il faut comprendre comme elles
dans sa structure imaginaire et dans sa valeur libidinale".
Avec cette définition du moi comme la somme des imagos du sujet
nous rejoignons la définition de Freud, celle du moi comme la
somme des identifications du sujet.
Mais en présence de cette définition des imagos qui s'appuie
sur ses effets imaginaires il est nécessaire de prendre solidement
appui sur le terme antique d'imago qui peut être traduit par symbole,
car il nous permet de prendre en compte les deux registres de l'imaginaire
et du symbolique dans cette approche de l'imago, sans exclure bien sûr
celui du réel
L'imago dans la clinique
C'est tout d'abord dans la pénombre du cabinet analytique que
Lacan fait ressurgir ses inquiétantes imagos dont l'analyste
reprend le rôle et qui réveille ainsi le transfert négatif
de l'analysant. Il donne un exemple clinique de ce transfert, le symptôme
d'une jeune fille hystérique qui souffrait depuis des mois d'une
astasie-abasie.- troubles de la marche et l'équilibre -qui résistait
depuis vaillamment à tous les efforts de suggestion thérapeutique
entrepris et il indique comment Il réussit à la guérir
justement parce qu'il "se trouva identifié d'emblée
à la constellation des traits les plus désagréables
que réalisait pour elle l'objet d'une passion, assez marqué
au reste d'un accent délirant".
"L'imago sous - jacente était celle de son père,
écrit-il, dont il suffit que je fisse remarquer que l'appui lui
avait manqué... pour qu'elle se trouva guérie de son symptôme,
sans pour autant qu'elle y ait vu plus que du feu..."
Dans le travail de l'analyse, poursuit-il, s'effectue "le transfert
imaginaire sur notre personne d'une des imagos plus ou moins archaïques
qui, par un effet de subduction symbolique, dégrade, dérive
ou inhibe le cycle de telle conduite, qui, par accident de refoulement,
a exclu du contrôle du moi telle fonction ou tel segment corporel,
qui par une action d'identification a donné sa forme à
telle instance de la personnalité"(7).
Mais Lacan ne se contente pas de décrire comment l'analyste se
fait le support de ces imagos archaïques, il les inclut également
dans une dialectique de la cure et surtout les intègre déjà
à une expérience de langage, en tant que l'analyste se
fait l'interlocuteur de son analysant. Il décrit le surgissement
de ces imagos toujours ignorées du sujet et découvertes
par l'analyse dans un fragment de texte qu'il nomme "Description
phénoménologique de l'expérience psychanalytique"(8).
Il précise tout d'abord ceci : "Le donné de cette
expérience - l'expérience analytique - est d'abord du
langage, un langage, c'est à dire un signe". En effet, dans
cette expérience, l'analyste y joue le rôle d'interlocuteur
: "Par le seul fait qu'il est présent et qu'il écoute,
cet homme qui parle - l'analysant - s'adresse à lui et puisqu'il
impose à son discours de ne rien vouloir dire, il y reste ce
que cet homme veut lui dire". Ainsi dans la trame tissée
par l'association libre apparaît le discours intentionnel du sujet,
son discours inconscient tel qu'il s'adresse à cet autre qu'est
l'analyste. Mais ce discours intentionnel du sujet, est-ce bien à
lui qu'il s'adresse?"
Au-delà de l'analyste, apparaissent maintenant les vrais interlocuteurs
de l'analysant soit ce que Lacan appelle des imagos.
L'analysant "s'adresse-t-il toujours à l'auditeur vraiment
présent ou maintenant à quelques-uns autres, imaginaire
mais plus réel : au fantôme du souvenir, au témoin
de la solitude, à la statue du devoir, au messager du destin?
Mais dans sa réaction même au refus de l'auditeur - il
s'agit de l'analyste qui refuse de répondre - le sujet va trahir
l'image qu'il lui substitue. Par son imploration, par ses imprécations,
par ses insinuations, par ses provocations et par ses ruses... il lui
communique le dessin de cette image... l'analyste retrouve cette image
même que par son jeu il a suscitée du sujet, dont il a
reconnu la trace imprimée en sa personne... Ces traits, il les
découvre dans un portrait de famille : image du père ou
de la mère, de l'adulte tout puissant, tendre ou terrible, bienfaisant
ou punisseur, image du frère, enfant rival, reflet de soi ou
compagnon".
Lacan décrit donc le travail du psychanalyste comme un travail
d'illusionniste mais comme un travail qui "a justement pour fruit
de résoudre une illusion". "Son action thérapeutique...
doit être définie essentiellement comme un double mouvement
par où l'image, d'abord diffuse et brisée, est régressivement
assimilée au réel, pour être progressivement désassimilée
du réel, c'est à dire restaurée dans sa réalité
propre". C'est en retrouvant cette imago que l'analysant et l'analyste
se retrouvent dans cet "au-delà du Principe de réalité".
L'imago dans sa fonction " informatrice ", celle qui donne
forme, forme symbolique.
Lacan utilise par deux fois le terme d'information et non pas de formation
pour décrire le pouvoir des imagos dans son texte "Au-delà
du principe de réalité".
"Considérons maintenant les problèmes de l'image.
Ce phénomène sans doute le plus important de la psychologie
par la richesse de ses données concrètes, l'est encore
par la complexité de sa fonction, complexité qu'on ne
peut tenter d'embrasser sous un seul terme, si ce n'est sous celui de
fonction d'information. Les acceptions diverses de ce terme, qui de
la vulgaire à l'archaïque, visent la notion sur un événement,
le sceau d'une impression ou l'organisation par une idée, expriment
assez bien les rôles de l'image comme forme intuitive de l'objet,
forme plastique de l'engramme et forme génératrice du
développement. "
Voilà ce terme d'engramme a retenu mon attention, car nous pouvons
le rapprocher justement du cliché, c'est une image certes, mais
une image imprimée, telle qu'elle laisse des traces, elle s'inscrit.
Elle permet de passer de l'image au signifiant, de l'imaginaire au symbolique.
L'engramme en effet, tout comme le cliché, fait référence
à des caractères typographiques. En grec, gramma est la
lettre, l'écriture. Littéralement l'engramme c'est ce
que laisse comme traces, comme marques signifiantes les événements
de la vie d'un sujet.
Pour ceux qui travaillent ou ont travaillé le graphe du désir
on peut l'inscrire ainsi : l'imago archaïque apparaît en
Béta, au point où se trouve l'analyste, elle surgit entre
le moi et le petit autre, mais après avoir parcouru tous les
circuits, non seulement le circuit imaginaire qui passe par Béta
béta', mais aussi et surtout le petit circuit insconcient, cette
imago va laisser une trace de cette rencontre, comme " seing ",
comme insignes du désir de l'Autre, comme inscription signifiante,
comme idéal du moi, tout en bas du graphe du désir.
C'est ainsi que cette imago qui surgit au niveau imaginaire en Béta
marque le transfert comme obstacle et quand l'analyste la ramène
par son interprétation, en IA, il devient moteur de la cure.
En voici le graphe :
En Béta, quand l'imago
surgit le transfert y est un obstacle, il fait résistance, mais
si l'analyste réussit à l'interpréter, à
en faire un signifiant, en IA, le transfert devient moment de franchissement,
assomption d'un signifiant, et donc moteur de la cure.
3 - Les complexes pathogènes
Page 55 de ce texte, Freud choisit en effet ce terme : " Etudions
un complexe pathogène, parfois très apparent et parfois
presque imperceptible
nous parvenons bientôt dans une région
où la résistance se fait sentir
"
Freud ne nous en dit pas plus sur ce complexe pathogène. J'ai
donc cherché à en savoir un peu plus en relisant des textes
datant de cette même période et j'ai trouvé un merveilleux
petit texte de deux pages qui date de 1910 ( la dynamique du transfert
est de 1912) et qui s'intitule " exemples révélateurs
de fantasmes pathogènes chez des névrosés "
(dans Résultats, idées, problèmes, vol. I, p. 133)
Voici les deux exemples qu'il
donne, un jeune homme d'une vingtaine d'années, hospitalisé
dans une maison de santé avait eu une autorisation de sortie
à l'occasion de fêtes de famille, de retour dans cette
clinique, il eut une nouvelle poussée délirante et "
raconta que le médecin consultant lui avait donné le conseil
" de coqueter un peu avec sa mère ". il n'est pas douteux
qu'avec cette illusion mnésique délirante il a donné
expression à l'excitation qu'avait été suscitée
en lui par la réunion avec la mère
"
Ce premier exemple de fantasme pathogène a, de plus, le grand
intérêt de nous permettre de saisir sur le vif un joli
néologisme, un phénomène élémentaire
qui signe la psychose, avec ce mot inventé " coqueter ".
Le second exemple de fantasme pathogène est celui d'une névrosée
:
" Une jeune fille, de père médecin, souffrait d'hystérie
avec symptômes locaux ; le père niait l'hystérie
et fit entreprendre différents traitements somatiques qui furent
de peu d'utilité. Une amie posa un jour à la malade cette
question : " N'avez-vous donc jamais pensé à solliciter
les conseils du Dr Freud ? Sur quoi, la malade répondit : "
pourquoi devrai-je le faire ? je sais bien qu'il me demanderait : Avez-vous
déjà eu l'idée d'avoir un commerce sexuel avec
votre père ? " - Je tiens pour superflu d'assurer expressement
que je n'ai jamis recouru à l'époque à ce genre
d'interrogatoire
Et Freud conclut ainsi ce texte : ce que racontent les malades sur les
paroles ou les actes des médecins révèlent en fait
leurs propres fantasmes pathogènes.
Que pouvons-nous tirer de ce petit texte, si ce n'est affirmer le fait
que ces complexes pathogénes nous sont bien connus et qu' ils
peuvent se réduire, à vrai dire, à un seul : le
complexe d'dipe.
Conclusion : en rapprochant
la série de clichés d'un même prototype et les imagos
étudiées par Lacan aux premiers temps de son enseignement,
on franchit un pas qui est de ne pas réduire à de l'imaginaire
l'apparition de ces clichés ou de ces imagos, mais en faire au
contraire, un mode d'inscription du signifiant, un mode d'accès
au symbolique. Ce rapprochement permet également de préciser
en deux temps, le transfert comme obstacle puis comme facteur de succès,
de franchissement dans l'analyse.
Ainsi s'éclaire ce qu'énonçait Lacan que le transfert
est lié aux moments d'errance mais aussi d'orientation de l'analyste.
C'est ce que Freud appelle les difficultés du maniement du transfert.
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