Le graphe du désir de Dora

(séminaire des formations de l'inconscient, séance du 30 avril 1958)

Liliane Fainsilber

 


Voilà, une fois ce graphe du désir complet mis en place, Lacan évoque dons à nouveau la façon dont normalement agit la métaphore paternelle au travers des trois temps de l'Œdipe mais précise, à propos de cette métaphore, un terme qu'il avait jusque là gardé en réserve que l'on voit apparaître sous forme de la lettre grand phi ( et qu'il inscrit sur la ligne du haut du graphe.

La lettre qui marque l'Autre comme désirant, comme barré, comme soumis lui aussi au signifiant, et donc au désir de l'Autre.

" C'est d'une certaine relation de ce qui répond à la demande à une première étape, à savoir à la parole de la mère, c'est au-delà de cela, c'est-à-dire d'une relation à cette parole à une loi qui est au-delà et que je vous ai montrée être incarnée par le père, c'est ceci qui constitue la métaphore paternelle. "
Mais voici maintenant quelles en sont les conséquences :
" Mais vous avez, à juste titre, le droit… de penser que tout ne se réduit pas à cette sorte d'étagement de la parole et au-delà de la parole, de la sur-parole, de quelque façon qu'on la dénomme, à savoir la Loi du père, qu'en fin de compte il y a bien autre chose d'exigible et bien entendu au même niveau où se situe cette loi ( chaîne signifiante inconsciente figurée en haut du graphe ) s'introduit précisément ce signifiant électif, à savoir le phallus qui fait que dans des conditions normales, se produit, se rencontre … ce que je vous ai appellé le signifiant de A, c'est-à-dire que ce (que) je viens de définir comme la fonction du signifiant phallus… marque ce que l'Autre désire en tant que marqué par le signifiant, c'est-à-dire barré.

Nous trouvons là une phrase bien tarabiscotée dans le pur style lacanien dont, au reste, j'ai simplifié quelques méandres, mais quand même elle est d'importance. Si je la reformule avec mes propres mots, voici ce que ça donne.
La mise en place de ce signifiant phallique est assurée, vous vous en souvenez - " dans des conditions normales " et ce terme mérite d'être soulignée - au temps deux de l'Œdipe, quand le père intervient pour châtrer la mère de quelque chose qu'au demeurant elle n'a jamais eu et donc ce phallus est de fait élevé au rang de signifiant.
Qu'est ce que ça veut dire que le père châtre la mère ? Il lui interdit de ré-intégrer son produit, autrement dit de faire de son enfant son objet phallique. Mais il interdit aussi à l'enfant, d'occuper cette place d'objet phallique de la mère.

Quand la mère et l'enfant ne tiennent pas compte de cet interdit, donc quand ce phallus n'est pas élevé à ce rang de signifiant, cet au-delà du désir de la mère n'est pas du tout ou pas bien symbolisé. Et nous retrouvons ce point nodal, celui où s'organisent, se constituent les trois structures possibles névrose, psychose et perversion.

Avec le graphe du désir de Dora, puis avec le graphe du désir de Renée, l'analysante de Maurice Bouvet, qui souffre d'une névrose obsessionnelle, nous voyons comment lorsque ce signifiant grand Phi n'est pas bien mis en place, chacun tente de s'en débrouiller, au mieux avec des symptômes.

Nous avons là une approche de ce que beaucoup plus tard Lacan élaborera avec le nœud borroméen, la fonction de suppléance du symptôme par rapport à la métaphore paternelle. Avec l'aide de la névrose, on " rafistole " comme on peut les insuffisances de la fonction paternelle et c'est ce que fait Dora, tant bien que mal.

 

Donc là Lacan s'est occupé du signifiant de grand A barré qui concerne l'Autre et maintenant il va s'occuper de ce qu'il appelle la castration du sujet, ce qui fait que lui aussi, tout comme l'Autre est marqué par le signifiant.

Mais là, nouvelle difficulté, Lacan se réfère au schéma L. et au sujet " achevé ", le sujet qui " reste en deçà de la relation spéculaire, à celle duelle, au petit autre de la relation de parole.

Donc voici ce qu'il dit de ce sujet : Le sujet achevé c'est le sujet en tant que s'est introduite la barre, à savoir en tant que lui-même est marqué par le signifiant. Et c'est pour ça que c'est ici que se produit la relation du sujet à la demande comme telle.

Donc résumons ceci : Sur le haut du graphe, dite ligne du complexe de castration, le sujet et l'Autre sont tous les deux marqués par le signifiant et donc manquants et donc désirants. Mais il faut que ce soit l'Autre qui le soit d'abord.
Et là si on se rappelle le fait que Dora est restée deux heures en contemplation devant la Madone, on voit vite en quoi cette castration de l'Autre est problématique pour elle. La Vierge-mère manifestement ne manque de rien. Rien, pour elle, ne laisse à désirer.


Enfin le graphe du désir de Dora

 


Les deux lignes du graphe, celle du haut et celle du bas " s'interchangent ". Je les ai représentées ainsi pour mettre en évidence leurs équivalences :

 


Voici donc donnée comme exemple, la situation subjective de Dora : " Ce que je veux simplement, pour aujourd'hui, vous indiquer que chez l'hystérique ce qui si simplement se manifeste, ce qui vient remplir la fonction de ceci, c'est en raison de certains éléments de carence qui sont toujours présents… cet au-delà du désir de l'Autre, il se produit à l'état pur chez Dora.
Et nous touchons tout de suite pourquoi une partie de la batterie des éléments manque. On ne parle absolument pas de la mère. Vous avez peut-être remarqué dans Dora qu'elle est complètement absente, Dora est confrontée à son père. Il est tout à fait clair que c'est de son père qu'elle veut l'amour ; elle veut l'amour de son père, et avant l'analyse, il faut bien dire que c'est particulièrement équilibré, la vie de Dora ".

C'est vrai que Dora réclame l'amour de son père et que si elle peut le faire, si je puis dire, sans entrave, s'est bien parce que sa mère a été évincée de cette relation d'amour entre les parents. Donc Lacan semble avoir raison de ce point de vue. Mais il n'empêche que pour Dora, elle n'est pas le moins du monde absente aussi bien dans ses deux rêves que dans toutes ses associations entre les gouttes d'eau et les bijoux et donc les cercles de représentations autour du " mouillé/souillé " faisant référence à la maladie vénérienne du père et à la contamination de sa mère et qui se retrouvent exprimées par son symptôme de la toux, son " catarrhe " déplacé du haut vers le bas. De même on a encore le témoignage de l'intérêt que Dora continue à porter à sa mère, par son identification à son frère qui est son objet rival dans le désir de celle-ci.

Bon mais c'est important de suivre la démonstration de Lacan concernant cette nécessité de mettre en place un Autre désirant.

C'est à son père que s'adresse sa demande et les choses vont très bien parce que son père à un désir insatisfait car son père est impuissant. Donc l'Autre de Dora, son père est lui aussi manquant, désirant.

Mais ce que nous savons aussi nous dit Lacan c'est que l'objet du désir de Dora est Madame K. mais justement parce que c'est le désir du père.
" Il n'y a, pour le maintien de cet équilibre, qu'une chose qui soit nécessaire, c'est que Dora soit quelque part, c'est que Dora réalise quelque part cette assiette, cet équilibre, cette identification de soi qui lui permette de savoir où elle est, et ceci en fonction de cette demande qui n'est pas satisfaite, la demande faite de l'amour de son père… tout dépend de où va se produire l'identification dite idéal du moi.


On ne sait pas où Lacan a bien pu l'inscrire sur le graphe, pour pouvoir le reconstituer voici ce qu'en dit :

" Vous le voyez ici à l'origine, elle passe [ ce trajet de l'indentification ] toujours après un certain franchissement, un double franchissement de la ligne de l'Autre, ici.

Il me semble qu'il dessine le trajet entre le grand Autre et l'arrivée du message puis un retour sur l'Autre. Il y a un au-delà de cet Autre, un au-delà du désir, qui peut en effet être dessiné puisque son père à un désir insatisfait. Donc la seconde ligne celle du complexe de castration existerait elle aussi, avec au lieu du signifiant de grand A barré, son père, comme Autre désirant.

" C'est après le franchissement de ces deux lignes que va se réaliser ici l'identification de l'hystérique " Ici, ce devrait être le lieu du fantasme.

C'est là que monsieur K. lui sert de support narcissique : " C'est un autre qui, lui, est en posture de satisfaire au désir, Monsieur K. le mari de Madame K. si charmante, si éclatante, l'objet véritable du désir de Dora.

Il est ici, parce que c'est une hystérique, parce que dans le cas d'une hystérique ça ne peut pas aller plus loin, le processus. Pourquoi ? parce que le désir est l'élément qui a lui tout seul est chargé de prendre la place de cet au-delà qui est ici repéré par la position propre du sujet par rapport à la demande.

Ici se confirme que c'est bien de la place du fantasme de Dora dont il parle : " …pour que ce désir, elle puisse s'y appuyer, s'y achever, trouver elle-même son identification, son idéal [mais ici, il semble quand même bien qu'il s'agit non pas de son Idéal du moi, mais de son moi idéal ] … il faut qu'il y ait une rencontre qui lui permette de se reposer, de se repérer sur cette ligne, et c'est là où est Monsieur K. et qu'elle trouve, comme c'est absolument évident dans toute l'observation son autre, au sens de petit autre, celui où elle se reconnaît.

Donc pour redessiner les trajets du graphe de Dora, je l'ai décomposé en deux graphes mais c'est un peu comme pour une bande dessinée, j'ai noté sur l'un la demande d'amour de Dora adressée à son père puis l'au-delà de ce désir sous la forme du désir insatisfait du père, un désir barré, que j'ai donc inscrit, tout en haut du graphe, au point du signifiant de grand A barré et lui correspondant, le désir tout aussi barré de Dora, au lieu où aurait dû se situer son désir génital et qui est pour le coup radicalement insatisfait.

 

Sur le second Graphe, j'ai inscrit comment à partir de la relation imaginaire de Dora à Monsieur K. elle construit son fantasme, tout comme c'est avec la relation imaginaire d'un enfant rival battu, que d'autres sujets peuvent mettre ce fantasme " on bat un enfant " pour s'assurer de leur existence de sujet.

Lacan nous dit que Dora, est l'objet du désir de Dora, je l'ai inscrit en face de la formule du fantasme, au niveau du petit d, que Lacan indexe d'un petit x, pour marquer en quoi il lui est énigmatique. C'est au niveau de ce dx qu'on peut également inscrire la relation de désir d' Elisabeth Von R. Donc en dx s'inscrit aussi bien la situation de désir à laquelle s'intéresse Dora, situation dans laquelle Madame K joue un rôle central.

Le trajet s'arrête en signifié de Grand A, avec le symptôme en tant que masque du désir. Il n'arriverait donc pas jusqu'en I.A, cette identification symbolique, qui inscrit, dans un rapport au père, le mode de rapport de chaque sujet au signifiant phallique. Cette identification symbolique reste prise dans le symptôme est ne peut en quelque sorte en être libérée que par le travail de l'analyse.

 

 

Tous les points du graphe ont donc été parcourus cependant le trajet s'arrête au masque du symptôme, pour Dora comme pour toute hystérique, jusqu'à ce que par l'analyse, cette identification dite Idéal du moi, celle qui comporte cette référence au phallus symbolique et qui permet l'identification du sujet à son propre sexe soit mise en place, du simple fait de l'interprétation de l'analyste, celle qui témoigne de son désir, du désir du psychanalyste.

 

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