Pour aborder le graphe du désir

Claire Hoffman

 

Lacan construit ce graphe tout au long du séminaire Les formations de l'inconscient comme support de sa réflexion sur " la fonction du signifiant dans l'inconscient". Quels sont les mécanismes de la formation d'un trait d'esprit, d'un lapsus, d'un symptôme ?

Dans la première leçon (6 nov 57), pour amener le graphe, Lacan rappelle des choses présentées dans les précédents séminaires et notamment dans Les psychoses (6 juin 56), lorsqu'il avait substitué l'image du point de capiton aux bandes verticales que Ferdinand de Saussure avait imaginées, comme fixant les rapports autrement toujours glissants entre le flot des signifiants et le flot des signifiés.


" Cette relation du signifiant avec le signifié… en référence au schéma célèbre de Ferdinand de Saussure : le courant, ou plus exactement le double flot parallèle du signifiant et du signifié comme étant distincts et voués à un perpétuel glissement l'un sur l'autre. C'est à ce propos que je vous ai forgé les images de la technique du matelassier, du point de capiton, dont il faut bien qu'en quelque point le tissu de l'un s'attache au tissu de l'autre ".

 



" Si nous devons trouver un moyen d'approcher de plus près les rapports de la chaîne signifiante à la chaîne signifiée, c'est par cette grossière image du point de capiton. Mais il est évident, pour que ce soit valable, qu'il faudrait se demander où est le matelassier. Il est évidemment quelque part, la place où nous pourrions le mettre sur ce schéma serait tout de même un peu par trop enfantine "

En effet, il faudrait dessiner à côté de ce schéma un personnage avec une aiguille en main dans laquelle serait enfilée la ligne rétrograde ! Cette remarque de Lacan vient pointer la question de la représentation du sujet dans le schéma.

En fait, avec le graphe, par rapport au schéma du point de capiton, un saut de plus est effectué puisque, au lieu d'une chaîne signifiante et d'une chaîne du signifié, nous sommes entièrement sur le plan du signifiant. " Les effets sur le signifié sont ailleurs, ils ne sont pas directement représentés sur ce schéma ". Quant au sujet, Lacan dit un peu plus tard (18 déc 57) " Le sujet, c'est tout le système, et peut-être quelque chose qui s'achève dans ce système. "


Mais voyons plus précisément quelles sont ces deux lignes entièrement sur le plan du signifiant, et à l'étage supérieur, quels sont ces deux points où elles s'entrecroisent.

" Dans le premier temps de cette première ligne (celle qui va dans le sens progressif) nous avons la chaîne signifiante en tant qu'elle reste entièrement perméable aux effets proprement signifiants de la métaphore et de la métonymie, ce qui implique l'actualisation possible des effets de signifiants à tous les niveaux, à savoir particulièrement jusqu'au niveau phonématique, jusqu'au niveau de l'élément phonologique de ce qui fonde le calembour, le jeu de mot, bref ce avec quoi nous, analystes, nous avons à jouer sans cesse ". C'est le lieu de la langue décomposée en expressions, mots et jusqu'aux phonèmes, comme matériau de la métaphore et de la métonymie.

L'autre ligne est celle du discours courant, commun, rationnel " dans lequel est intégré un certain nombre de points de repère, de choses fixes. … Nous nous arrêtons ici au niveau du sémantème, c'est-à-dire de ce qui est fixé et défini par un emploi. " Cette ligne correspond à ce que l'on a l'intention de dire.

Ces deux discours " vont dans le sens contraire l'un de l'autre, pour la simple raison justement qu'ils glissent l'un sur l'autre ; mais l'un recoupe l'autre et il se recoupent en deux points parfaitement reconnaissables ".

" Si nous partons du discours (commun), le premier point où le discours rencontre l'autre chaîne, la chaîne signifiante, c'est du point de vue du signifiant le faisceau des emplois, autrement dit ce que nous appellerons le code….Ce code est très évidemment dans le grand A qui est là, c'est-à-dire dans l'Autre en tant qu'il est le compagnon du langage ". C'est le trésor du signifiant, là se trouve tout le réseau possible des emplois dans l'usage d'une langue : " la multiplicité des combinaisons signifiantes, d'ailleurs tout à fait abrégées, élidées, disons même purifiées quant à la signification ". Il donne l'exemple de " ter " qui suffit à convoquer la signification de terreur dans " atterré " alors que ce mot, étymologiquement, signifie simplement " mettre à terre ".

" La seconde rencontre qui achève la boucle constitue à proprement parler le sens, le constitue à partir du code qu'elle a déjà rencontré…c'est le résultat de cette conjonction du discours avec le signifiant comme support créateur de sens: c'est le message. Ici le sens vient au jour, la vérité qu'il y a à annoncer, si vérité il y a est là dans le message " au point gamma.

" La plupart du temps aucune vérité n'est annoncée, pour la simple raison que le discours ne passe absolument pas à travers la chaîne signifiante, qu'il est le pur et simple ronron de la répétition et du moulin à parole…il passe quelque part en cout-circuit entre béta et béta' ". Ceci au lieu de faire la boucle par le haut. Le discours vide passe en court-circuit par l'étage imaginaire constitué par le Je et l'objet. On rencontre bien sur la chaîne du discours courant le Je, parce que celui qui parle se désigne d'une façon ou d'une autre dans son discours, qui n'est d'ailleurs pas nécessairement un " Je ". Ce Je n'est pas le sujet, mais " une certaine cristallisation du sujet que j'appelle Urbild " ( 5 fév 58). C'est la place de l'image spéculaire i(a) et, dans sa relation avec les objets, en face en béta', ils constituent l'étage du moi, l'étage imaginaire.

La vérité, lorsqu'elle est présente, lorsqu'il y a bien passage par le haut, traversée de la chaîne signifiante, la vérité est " en tant que dictincte de la réalité, quelque chose qui fait entrer en jeu le surgissement possible de nouveaux sens, introduit dans le monde, dans la réalité, y introduit littéralement, non pas les sens qui y sont, mais les sens qui, qu'elle en fait surgir ".
Il s'agit précisément d'un effet métaphorique, une création de sens par laquelle ce qui est effectivement dit n'est jamais exactement ce qui voulait être dit.


Ces créations de sens sont exemplaires dans le cas du mot d'esprit : Lacan va s'appliquer à écrire sur le graphe les trajets en jeu dans la formation du mot " famillionnaire ", exemple de mot d'esprit d'où part également Freud dans son ouvrage " Le mot d'esprit et sa relation avec l'inconscient " (1905). Ce sera notre prochaine étape.

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