Sur le trait unaire et les insignes du père

Vanessa Brassier

 

Essais de psychanalyse, " Psychologie des foules et analyses du moi " (1921) : chapitre 7, " L'identification ". p 167-174 ( Petite Bibiothèque Payot)

Ce chapitre se présente comme une tentative de récapitulation du concept d'identification. Freud en dégage 3 formes essentielles : l'identification primordiale au père, l'identification à un trait de l'objet et l'identification au désir de l'Autre.

Je ne détaillerai ici que la seconde forme, où Freud reprend l'exemple de la toux de Dora. Contrairement à la première forme d'identification qui ne relève pas de la pathologie mais qui se présente comme un processus originaire structurant, les 2ème et 3ème formes d'identification sont mises en place par Freud à partir d'exemples cliniques et de symptômes névrotiques. Il s'agit là d'identifications secondaires et partielles, contrairement au premier type décrit, celui d'une identification primaire et totale.

La deuxième forme d'identification : Elle a pour modèle l'identification hystérique et Freud renoue ici avec les commencements de sa théorie de l'identification comme processus qui sous-tend la formation des symptômes hystériques. Dans le chapitre 7, pour illustrer le 2ème type d'identification -identification à un trait de l'objet- Freud donne 2 exemples de formation de symptôme névrotique par une substitution du sujet, soit à la personne qui suscite son hostilité, soit à celle qui est l'objet d'un penchant érotique.

Les exemples proposés par Freud sont ceux de la toux et illustrent l'identification qui découle du complexe d'Oedipe.

Notons que dans ces exemples cliniques c'est de la petite fille qu'il s'agit alors que dans le premier type d'identification il n'était question que du garçon : au début du chapitre, Freud définit en effet l'identification primaire comme le lien le plus précoce du petit garçon au père pris comme modèle. Et pas un mot sur la fillette.

Mais précisons qu'en 1921, la sexualité féminine n'a pas encore été explorée et Freud est loin d'être au clair avec le développement psychosexuel de la petite fille. C'est donc le petit garçon qui invariablement sert de modèle…sauf dans les cas pathologiques! Voici nos 2 exemples : 1) dans le premier exemple, la toux signifie l'identification à la mère rivale : " l'identification (...) signifie une volonté hostile de se substituer à la mère et le symptôme exprime l'amour objectal pour le père ; il réalise la substitution à la mère sous l'influence de la conscience de culpabilité : tu as voulu être la mère, maintenant tu l'es au moins dans la douleur. C'est alors le mécanisme complet de la formation du symptôme hystérique . " ( le symptôme comme accomplissement des désirs oedipiens : être la mère / avoir le père et comme autopunition ) 2) le 2ème exemple est celui de la toux de Dora.

Donc le symptôme est identique : la toux, mais n'a plus la même signification. Cette fois-ci la toux n'est plus identification à la mère rivale mais identification au père pris comme objet d'amour. Dans ce 2ème cas l'identification devient le substitut d'un choix d'objet libidinal interdit.

Devant l'obstacle du refoulement, la libido régresse jusqu'à l'identification, modifiant le moi lui-même qui " s'approprie les qualités de l'objet ". Autrement dit, l'attachement oedipien à l'objet reflue à cette forme primitive d'attachement plus narcissique : l'identification, dans laquelle le moi absorbe les propriétés de l'objet aimé : " l'identification a pris la place du choix d'objet, le choix d'objet a régressé jusqu'à l'identification ".

C'est là un point important : dans cet exemple l'accent est mis sur le rôle essentiellement conservateur de l'identification qui tente de maintenir la relation à l'objet perdu, c'est-à-dire que l'identification permet le renoncement à l'objet tout en garantissant sa pérennité sous l'apparence de l'abandon, du détachement. Dans ce registre il s'agit d'une identification secondaire parce qu'elle présuppose un prototype primaire et qu'elle vient remplacer un investissement d'objet, une relation d'avoir. Elle est donc secondaire à un choix d'objet dont elle maintient l'investissement. Il est important de noter que c'est à propos de ce 2ème type d'identification que Freud insiste sur son caractère partiel et qu'il emploie l'expression einziger Zug ( trait unaire ). En effet, dans cette régression du choix d'objet à l'identification, la transformation du moi n'est que partielle, elle se fait sur la base du trait unique qui sert de support métaphorique ou métonymique au rapport affectif ( haineux ou amoureux ).

L'identification hystérique, et névrotique en général, est limitée, partielle, puisqu'elle ne s'appuie que sur un seul trait de l'objet, un signifiant surdéterminé. C'est en cela qu'elle se distingue de l'identification primaire dont la visée est totale et où il s'agissait là d'égaler voire de remplacer le modèle. En résumé, ce qui est essentiel ici c'est la mise en évidence dans l'identification de ce caractère partiel, le trait unaire comme le traduit Lacan. D'ailleurs, dans sa théorie de l'identification Lacan a privilégié ce deuxième type d'identification fondée sur l'appropriation d'un trait unique au point de poser la relation au trait unaire comme fondement de l'identification du sujet basée sur le rapport au signifiant .

Citons Lacan dans le Séminaire sur Les formations de l'inconscient. A propos de l'identification oedipienne à la figure paternelle il reprend la théorie freudienne de la " transformation de l'amour en identification " et parle de l'identification " en tant que liée à un moment de privation " ( il s'agit du renoncement aux objets d'amour oedipiens ). Lacan fait alors allusion à l'exemple de la toux de Dora repris par Freud dans son chapitre sur " l'identification ": " Que se passe-t-il quand le sujet féminin a pris une certaine position d'identification au père ? (…) D'une certaine façon, l'enfant devient ce père. Il ne devient pas réellement le père, bien sûr, il devient le père en tant qu'Idéal du moi. Une femme dans ce cas peut vraiment dire de la façon la plus ouverte, il suffit de l'écouter -Je tousse comme mon père. C'est bien d'une identification qu'il s'agit. " Il ajoute : " La petite fille n'est pas pour autant transformée en homme. De cette identification, nous trouvons des signes, des stigmates, qui s'expriment en partie, qui peuvent être remarquées par le sujet, dont celui-ci peut se targuer jusqu'à un certain point (…) ce sont des éléments signifiants. Si une femme dit Je tousse comme mon père (…) ce sont des éléments signifiants (…). Nous les appellerons les insignes du père. "