De l’analyste à la place de l’Idéal du moi

Geneviève Abécassis

 

Dans son étude de l’analyse de Dora par Freud, Lacan met en avant le fait que Freud, ayant fait une erreur d’interprétation quant au désir de Dora, n’a pas pu être mis par celle-ci à la place de son idéal du moi ; de ce fait elle n’a pas pu s’engager dans le transfert positif, ni acccéder à l’objet viril. Bien que chacune de ces propositions mérite une attention particulière, c’est « l’analyste à la place de l’idéal du moi »qui a commencé à me poser question.

Cette formulation se trouve déjà chez Freud, dans les Essais de psychanalyse (cf note de la page 265) : « L’issue de l’analyse dépend d’un autre facteur :la personne de l’analyste permet-elle au malade de le mettre à la place de son idéal du moi . »

Cet idéal du moi, Freud l’avait ainsi défini dans « Pour introduire le narcissisme » :

« Ce qui avait incité le sujet à former l’idéal du moi dont la garde est remise à la conscience morale, c’est justement l’influence critique des parents, telle qu’elle se transmet par leurs voix. Dans le cours du temps sont venus s’y adjoindre les éducateurs, les professeurs,et le groupe innombrable de toutes les autres personnes du milieu ambiant(les autres,l’opinion publique) »

La première question suscitée en moi par ces considérations concernait ce qu’il en était alors de la différence entre la morale et de l’éthique.

En fait, dans la suite de la petite note citée plus haut, Freud nous met en garde :

« A cela, est lié la tentation pour le médecin de jouer pour le malade un rôle de prophète, d’un sauveur de âmes, d’un messie »---autrement dit de vouloir « le bien du malade »----

Il poursuit « comme les règles de l’analyse s’opposent résolument à une telle utilisation de la personnalité du médecin,il faut reconnaître qu’il y a là une nouvelle barrière à la tâche de l’analyse ;la tâche de celle-ci n’est pas de rendre impossibles les réactions morbides mais d’offrir au malade la liberté de se décider pour ceci ou pour cela » Je crois que nous pouvons dire avec Lacan,de permettre au malade « d’agir conformément au désir qui l’habite »(cf séminaire sur l’éthique)

Dans ce même séminaire d’ailleurs Lacan reprend les termes autour desquels, dit-il, il avait organisé son commentaire des écrits de Freud, le moi idéal et l’idéal du moi (cf P.274) : « Maintenant nous définirons l’idéal du moi du sujet comme représentant le pouvoir de faire le bien », non sans toutefois se questionner « comment se fait-il qu’à partir du moment où tout s’organise autour du pouvoir de faire le bien,quelque chose de totalement énigmatique se propose à nous et nous revient, de notre propre action, comme la menace toujours croissante en nous d’une exigence aux conséquences inconnues »

Par ailleur s,en ce qui concerne la relation entre l’issue de l’analyse et sa relation (de dépendance même) avec le fait que l’analyste puisse être mis à la place de l’idéal du moi, ce qui apparaît encore plus problématique à partir de cette modulation de l’idéal du moi comme représentant le pouvoir de faire le bien, Lacan apporte un nouvel éclairage dans le séminaire sur le transfert (p. 388)

« On a dit, et très tôt , « l’analyste prend pour l’analysé la place de son idéal du moi ». C’est vrai et c’est faux . C’est vrai au sens que cela arrive… il est commun qu’un sujet y installe à la fois des positions fortes et confortables qui sont bien de la nature de ce que nous appelons résistance. Cela ne veut pas dire que cela épuise la question ni que l’analyste puisse d’aucune façon s’en satisfaire -en d’autres termes, qu’il puisse pousser l’analyse jusqu’à son terme sans débusquer le sujet de la position que prend celui-ci en tant qu’il donne à l’analyste la position d’idéal du moi »

Au fond, s’il est nécessaire, voire indispensable ne serait-ce que pour l’entrée dans le transfert (positif, précise Lacan) que l’analyse puisse mettre l’analyste en position de son idéal du moi, par le dispositif du miroir, avec ses deux versants imaginaire et symbolique, l’analyste quant à lui n’a pas à se départir de sa position de responsabilité, celle d’introduire le sujet à l’ordre du désir.

 

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