Mercredi 19 mai 1954
A mesure que nous avançons dans cette année, qui commence à prendre
forme d’année en prenant la pente de son déclin, c’est une satisfaction
d’avoir entendu, par un certain nombre d’échos, et d’une façon plus
proche par des questions qui m’ont été posées – d’avoir eu cette réponse
– qu’un certain nombre d’entre vous commencent à comprendre que dans
ce que je suis en train de vous enseigner, il s’agit du tout de la psychanalyse,
je veux dire du sens même de notre action. Ceux dont je parle sont ceux-là
qui ont compris que la conception du sens de l’analyse est le point
même d’où seulement peut partir toute règle technique ; toute application
dépend de la dimension dans laquelle vous l’appréhendiez, vous vous
déplacez, de façon que vous compreniez quel est le sujet de votre action.
Bien sûr, dans ce que j’épelle peu à peu devant vous, tout n’apparaît
pas – ceux qui m’ont posé ces questions ou qui se les posent – tout
n’apparaît pas encore absolument clair, transparent. Du moins il semble
qu’il s’agisse de rien moins que d’une prise de position fondamentale
sur certains points de vue qui ensuite animeront leur action, leur intervention
dans la compréhension qu’ils auront, aussi bien de la place existentielle
de l’expérience analytique, et aussi bien de ses fins ; ce qu’on cherche
à obtenir dans cette action.
La dernière fois, paraît-il, encore que je n’ai pas eu le sentiment
de vous faire faire un grand pas, ou plutôt de vous avoir mis en un
certain point central ; pour vous faire comprendre au moins quelque
chose, une sorte de jeu qui doit vous donner incidemment une sorte de
matérialisation imagée de quelque chose qui reste toujours énigmatique
dans la façon dont on le fait intervenir dans l’analyse, à savoir ce
qu’on appelle en anglais : « working through » , et qui est si difficilement
traduit en français par « élaboration », « travail », et qui est cette
sorte de dimension qui peut apparaître au premier abord mystérieuse,
qui fait qu’il faut « cent fois sur le métier remettre notre ouvrage
», avec le patient, pour que certain progrès, franchissement, passage
essentiel, subjectif, soit accompli, si quelque chose peut s’exprimer,
s’incarner dans cette sorte de mouvement de moulin qu’exprimait ces
deux flèches, (de O à O’, et de O’ à O), pour manifester le jeu d’aller
et retour, de miroitement par où passe successivement de l’en-deça à
l’au-delà du miroir, une image du sujet pour autant qu’il s’agit de
sa complétion au cours de l’analyse, de désir, d’autre part, du sujet
pour autant qu’il le réintègre, qu’il le voit se manifester, surgir
en lui-même sous forme de tension, et particulièrement aiguë chaque
fois qu’un pas nouveau est fait dans la complétion de cette image, bien
entendu ce mouvement ne s’arrêtant pas à une seule révolution, mais
à autant de révolutions qu’il en faut pour que les différentes phases
de l’identification imaginaire, narcissique, spéculaire – ces trois
mots sont équivalents, dans la façon de représenter les choses en théorie
– d’autant de révolutions qu’il est nécessaire pour que cette image
fût réalisée, bien vue, détachée.
Et je ne vous ai pas dit que c’était là que s’épuisait le phénomène,
puisque aussi bien rien n’est concevable sans l’intervention de ce tiers
élément, que j’ai introduit en fin d’explication technique, la dernière
fois, qui est la conjonction de la parole du sujet. La conjonction,
pas n’importe laquelle, mais la conjonction à ce moment significatif
d’émergence du désir, dans cette confrontation avec l’image, c’est-à-dire
d’émergence du désir en général, sous une forme particulièrement angoissante
dans les moments qui sont les moments de complétion de l’image, pour
autant que ce n’est pas sans raison, sans doute, que l’image avait été
décomplétée, que la face imaginaire avait été non-intégrée, réprimée
ou refoulée.
Eh bien, c’est dans la conjonction de la parole avec ce désir, au moment
où il est, par le sujet, senti – car il ne peut être senti sans cette
conjonction de la parole – et aussi bien qu’il est pure angoisse, et
rien d’autre, c’est dans ce moment là que se trouve le moment fécond,
le point fécond de tout ce que par exemple certains auteurs, comme Strachey,
ont essayé de préciser ...
Strachey a essayé de préciser, dénommer, cerner avec toute précision
(T. XV, Intern. Journal of psychoanal., 1934, II-III) ce que Strachey
appelle l’interprétation de transfert, et plus précisément l’interprétation
mutatiste. Strachey en effet souligne que c’est à un moment particulièrement
défini, limité, que l’interprétation peut avoir la valeur de progrès,
de changement, qu’elle est quelque chose de décisif dans l’analyse –
les occasions ne se présentent d’une façon ni fréquente ni qui puisse
se saisir d’une façon approchée ; - ce n’est pas autour, ni à l’entour,
ni avant, ni après, qu’une telle interprétation doit être donnée, mais
précisément à un moment où ce qui est près d’éclore, de surgir dans
l’imaginaire, est en même temps là dans l’analyse, dans la relation
verbale avec l’analyste, et c’est sur ce moment précis que, l’interprétation
étant donné, sa valeur décisive, sa fonction mutatiste peut s’exercer.
Qu’est-ce que ça veut dire, sinon ceci que je suis en train de vous
expliquer que c’est au moment où, en présence d’une situation où l’imaginaire
et le réel de la situation analytique se confondent : le désir du sujet
est là, à la fois présent et inexprimable. Un certain appoint, appui
de l’analyse, par la nomination, l’intervention dénommante de ce qui
est dans la situation même, apporte (au dire de Streachey) l’articulation,
la cheville essentielle par où et à quoi doit se limiter l’intervention
de l’analyste, comme étant aussi bien le seul point véritablement fécond
où sa parole ait à s’ajouter à celle qui est fomentée par le patient
au cours de ce long monologue de cette sorte de moulinage, de moulin
à parole, ont, en somme cette sorte de présentation tournante (cf mouvement
des flèches du schéma) justifierait assez bien la métaphore.

Pour illustrer ceci, je vous ai rappelé la dernière fois la fonction
des interprétations de Freud dans le cas Dora, y compris le caractère
inadéquat, et le steppage qui résultait, dans ce mur mental, qui correspond
à un premier temps uniquement de l’analyse.
Certains d’entre vous ont-il assisté, il y a deux ans, à mon commentaire
de l’homme aux loups ? J’espère que oui ! ... Il n’y en a pas énormément
! ... J’aimerais qu’un de ceux là – le père Beirnaert ? – si vous voulez
bien, par exemple, la prochaine fois, vous amuser à relire l’homme aux
loups, et vous verriez, par exemple combien l’observation de l’homme
aux loups, toute sa discussion, est centrée par Freud autour des éléments
de cette « névrose infantile » (puisque c’est le titre que l’homme aux
loups à dans l’édition allemande) ; vous verriez combien ce schéma est
vraiment explicatif, fondamental .. Je pense que même les autres ont
une notion au moins approximative de ce qu’il y a dans l’histoire de
l’homme aux loups ?
L’homme aux loups est ce qu’on appellerait aujourd’hui une névrose de
caractère, ou encore une névrose narcissique. Comme telle, cette névrose
offre une grande résistance au traitement. Freud a choisi, et délibérément
choisi, de nous en présenter une partie (Il s’agit d’un homme qui a
à ce moment là à peu près dans les vingt cinq ans au moment ou il l’analyse),
il a choisi de nous exprimer la névrose infantile. Parce qu’à ce moment
là elle est pour lui d’une grande utilité, pour poser certaines questions
qui sont l’axe apparent de l’exposé freudien sur la valeur du traumatisme.
C’est de la théorie de la fonction du traumatisme qu’il s’agit. Nous
sommes alors dans les années 1915. Il s’agit donc bien de quelque chose
qui est au cœur de la période du développement de la pensée de Freud,
qui forme un ensemble dans lequel nous pouvons, nous devons nous inscrire,
pour commenter les écrits techniques, le champ des années 1910 à 1920,
qui est en somme l’objet de notre commentaire, cette année, et dont
on ne peut pas détacher les écrits techniques.
Aussi bien l’homme aux loups est indispensable à la compréhension de
ce que Freud à ce moment là élabore au cours de la technique : la théorie
du traumatisme, mise en cause, ébranlée à ce moment là par l’obstination
et les remarques de Jung, et de ce qui est de ...
Dans cette observation de l’homme aux loups, qu’est-ce que nous voyons
? Puisqu’il s’agit de la névrose infantile, je vous rappelle un des
traits saillants de ce texte, texte étonnant, tout ce que Freud nous
y apporte – et qu’il ne nous apporte nulle part ailleurs, et encore
moins dans les écrits purement théoriques – il y a là des compléments
de sa théorie ; j’appelle compléments les parties de cette conception
théorique du refoulement qui sont absolument essentielles. N’oubliez
pas que dans ce texte il est expressément formulé, répété, de la façon
la plus précise, que le refoulement qui, dans le cas de l’homme aux
loups est lié à l’expérience traumatique qui est celle de la vision,
du spectacle d’une copulation, le développement et les remarques de
Freud ont permis de reconstruire – uniquement reconstruire, car jamais
elle n’a pu être directement évoquée, remémorée par le patient – entre
ses parents, dans une position qui, restituée par les conséquences dans
le comportement du sujet a paru être une relation a (tergo ?) ; et que
l’histoire du sujet, c’est bien de l’histoire qu’il s’agit, et même
de patiente reconstitution historique, de caractère tout à fait surprenant
...
... Il serait amusant de voir les caractères qu’on pourrait mettre en
valeur à ce propos de la méthode historique ... On arrive par cette
reconstitution à un rapprochement de ce qu’on peut considérer là comme
l’analogue des monuments, des documents d’archives, tous ces éléments
de la critique et de l’exégèse de textes, qui sont liés à ceci que si
un élément apparaît dans quelque point d’une façon plus élaborée, il
est certain que le moins élaboré, mais qui en donne un élément, est
antérieur.
Par exemple, on arrive à situer ... Freud le situe sans équivoque, avec
une conviction absolument rigoureuse, à une date définie par « n + 1/2
année », pour la date de l’évènement. Et le « n » ne peut être supérieur
à 1, parce qu’à 2 ans ½, ça ne peut pas se produire, pour certaines
raisons que nous sommes forcés d’admettre, comme certaines conséquences
apportées par cette révélation spectaculaire au jeune sujet.
Il écarte 6 mois. Il n’est pas exclu que ce se soit passé à 6 mois,
mais il l’écarte parce qu’à ce moment là, quand même, ça lui paraît
un peu – à cette date et à cette époque – un peu violent.
Je voudrais remarquer en passant qu’il n’exclut pas cependant que ce
se soit passé à 6 mois. A la vérité, moi non plus je ne l’exclus pas.
Et je dois dire que je serais plutôt porté – le seul point sur lequel
on pourrait redire quelque chose à cette observation, en effet, est
celui-ci – à croire que c’est à 6 mois, plutôt qu’à 1 an ½. Je vous
dirai peut-être tout à l’heure, si je ne l’oublie pas, incidemment pourquoi.
Ce que Freud nous explique est ceci :
Que la valeur traumatique de l’effraction imaginaire produite par ce
spectacle n’est nullement à situer immédiatement après l’événement ;
que c’est au moment où, entre 3 ans 3 mois – où s’exerce quelque chose
qui joue une influence capitale, qui fonctionne comme un tournant capital
dans l’histoire du sujet – et l’age de 4 ans – dont nous avons la date,
parce que le sujet est né, coïncidence décisive dans son histoire d’ailleurs,
le jour de Noël – car c’est dans l’attente des évènements de Noël, toujours
accompagnée pour lui comme pour tous enfants d’apport de cadeaux, censés
lui venir d’un être descendant, c’est à ce moment que le sujet fait
pour la première fois le rêve d’angoisse qui est le pivot, le centre
de toute l’analyse de cette observation. Ce rêve d’angoisse est pour
nous, ainsi la première manifestation de la valeur traumatique de ce
que j’ai appelé tout à l’heure l’effraction imaginaire, disons si vous
voulez pour emprunter un terme à la théorie des instincts, (telle qu’elle
a été élaborée de nos jours d’une façon certainement plus poussée qu’à
l’époque de Freud, spécialement pour les oiseaux) la « Prägung » - emportant
avec lui des résonances de la frappe, frappe d’une monnaie – de la Prägung
de l’événement traumatique originatif.
C’est dans la mesure – nous explique bien Freud, et de la façon la
plus claire – où cette prägung, qui d’abord se situe dans ce quelque
chose que nous ne pouvons appeler théoriquement, contentons-nous de
cette première approximation, nous en donneront plus tard peut-être
une technique plus précise, que cette prägung se situe dans un inconscient
non-refoulé disons qu’elle n’a pas été intégrée d’aucune façon au système
verbalisé du sujet, qu’elle n’est même pas encore monté à la verbalisation,
et on peut dire dans ce sens même pas à la signification, c’est dans
la mesure où cette prägung, strictement limitée au domaine de l’imaginaire,
ressurgit par et au cours du progrès du sujet, dans un monde de plus
en plus organisé, symbolique. C’est ceci que Freud nous explique en
nous racontant toute l’histoire du sujet, telle qu’elle se dégage, à
ce moment-là de ses élaborations, de l’observation entre ce moment «
X » originel, et le moment de 4 ans où il situe le refoulement.
Le refoulement, là n’a l’occasion d’avoir lieu que pour autant que les
événements de ses années précoces sont tels, historiquement, suffisamment
mouvementés, (je ne peux pas vous raconter toute l’histoire) : - séduction
par la sœur aînée, plus virile que lui, objet de rivalité et d’identification
en même temps manifeste ; - son recul et son refus devant cette séduction
dont, à cet âge précoce, le sujet lui-même n’a ni les ressorts ni les
éléments ; - puis l’essai d’approche de séduction active, de sa part
à lui, de séduction dans le sens d’une évolution génitale primaire oedipienne,
dans le fond tout à fait normativement dirigée, qui est suivi du refus,
du mouvement de rejet de la femme gouvernante, Nania, qui constitue
pour lui un drame ; apparition de la première menace de castration en
même temps ; donc une entrée dans la dialectique oedipienne, mais entrée
faussée par la première séduction captivante de la sœur ; - dont il
est repoussé du terrain où il s’engage vers des positions sado-masochiques
dont Freud nous donne tout le registre et tous les éléments.
Je vous indique simplement ces deux points de repère. C’est dans la
mesure où le sujet, en attendant de s’intégrer dans un monde symbolique,
qui ne cessera pas d’ailleurs d’exercer son attraction directive dans
toute la suite de son développement, (puisque, vous le savez, plus tard
il y aura des moments de solution heureuse, et très précisément pour
autant qu’interviendront des éléments enseignants à proprement parler,
dans sa vie) toute la dialectique de la rivalité passivante pour lui
avec le père sera à un certain moment tout à fait détendue par l’intervention
du personnage chargé de prestige qui sera tel ou tel professeur, ou
auparavant l’introduction de tout le registre religieux aura dans son
développement une influence dont Freud nous montre que c’est proprement
dans la mesure où son drame est intégré dans un mythe ayant une valeur
humaine étendue, voire universelle, que le sujet se réalise. C’est par
l’introduction dans la dialectique symbolique que toutes les issues,
et les issues les plus favorables peuvent être espérées.
Mais ce qui se passe à ce moment là est quelque chose qui nous permet
de sentir que ce qui se passe dans cette période (entre trois ans un
mois, et quatre ans) nous pouvons l’assimiler de la façon la plus évidente
avec ce schéma, et du même coup avec le processus de l’analyse, à savoir
pour autant que le sujet apprend à intégrer les évènement de sa vie
dans une loi, dans un champ de significations symboliques, dans un champ
humain universalisant de significations, de ce qui fait une névrose
infantile dans ses débuts, si vous voulez, à cette époque, à cette date.
C’est quelque chose qui exactement est la même chose qu’une psychanalyse,
au moins à cette date et à cette époque, où nous la saisissons, et c’est
pour autant qu’elle joue le même rôle qu’une psychanalyse, à savoir
de réintégration du passé, de mise en fonction dans le jeu des symboles
de la prägung elle-même, qui n’est là atteinte qu’à la limite par le
jeu rétroactif, « nachtraglich », écrit strictement Freud à ce moment-là,
pour autant qu’elle est par le jeu des évènements intégrée en forme
de symbole, en histoire par le sujet, qu’elle vient à être toute proche
de surgir, puis du fait même de la forme particulièrement secouante
pour le sujet de cette première intégration symbolique, qu’elle suffit
en effet, qu’elle prend après coup (nachtraglich », exactement, selon
la théorie de Freud 2 ans ½ après ( et peut-être, d’après ce que je
vous ai dit 3 ans ½ après) qu’elle soit intervenue dans la vie du sujet,
sur le plan imaginaire, elle prend sa valeur, elle, de trauma, au sens
où le trauma a une action refoulante. C’est-à-dire qu’à ce moment là
quelque chose se détache, si on peut dire, du sujet dans le monde symbolique
même qu’il est en train d’intégrer, et devient quelque chose qui n’est
plus du sujet, quelque chose que le sujet ne parle plus, n’intègre plus,
mais qui néanmoins reste là, quelque part, quelque chose qui restera
parlé, si on peut dire, parlé par quelque chose dont le sujet n’a plus
l’intégration, ni la maîtrise, et qui sera le premier noyau de ce qu’on
appellera par la suite ses symptômes.
(Est-ce que vous me suivez ?)
En d’autres termes, il n’y a pas entre ce moment de l’analyse que je
vous ai décrit, et le moment intermédiaire, entre la frappe et le refoulement
symbolique, il n’y a pas essentiellement de différence.
Il n’y a qu’une seule différence, c’est que comme à ce moment là personne,
n’est-ce pas, n’est là pour lui donner le mot, le refoulement commence,
ayant constitué son premier noyau, et donc du même coup un point central
autour duquel pourront s’organiser ensuite tous les systèmes, les refoulements
successifs, et du même coup aussi, puisque le refoulement et le retour
du refoulé c’est la même chose, le retour du refoulé.
Cela ne vous étonne pas, Perrier, que le retour du refoulé et le refoulement
soient la même chose ?
PERRIER : Non, plus rien ne m’étonne.
LACAN : Il y a des gens que cela étonne. Quoique, Perrier nous dise,
lui, que plus rien ne l’étonne.
MANNONI : Cela élimine la notion qu’on trouve, quelquefois du refoulement
réussi ?
LACAN : Non ça ne l’élimine pas ... Mais pour vous expliquer il faudrait
entrer alors dans toute la dialectique de l’oubli. Toute intégration
symbolique réussie comporte (... Mais ça, ça nous emmènerait bien loin
de la dialectique freudienne ...) une sorte d’oubli normal.
MANNONI : Mais sans retour du refoulé alors ?
LACAN : Oui, sans retour du refoulé. L’intégration dans l’histoire
comporte évidement l’oubli d’un monde entier d’ombres qui ne sont pas
portées à l’existence symbolique ; et si cette existence symbolique
est réussie, pleinement, assumée, assumable par le sujet, sans laisser
aucun poids derrière elle ... Nous tombons là, alors, il faudrait faire
intervenir des notions heideggériennes ; il y a dans tout passage, toute
entrée de l’être dans son habitation de parole une marge d’oubli, un
"léthé" complémentaire de toute "aléthéia".
HYPPOLITE : L’oubli n’est pas rien, il est contenu lui-même dans l’expression
symbolique.
LACAN : Oui, exactement.
HYPPOLITE : C’est le mot « réussi » que je ne comprenais pas dans la
formule de Mannoni. Que veut dire réussi ? c’est ce que je ne comprend
pas.
LACAN : C’est une expression de thérapeute. C’est un (léthé)
absolument essentiel.
HYPPOLITE : Parce que réussi pourrait vouloir dire justement l’oubli
le plus fondamental.
LACAN : C’est ce dont je parle, à condition de donner à fondamental
le sens que vous dites.
HYPPOLITE : Ce réussi veut dire alors, à certains égards, ce qu’il
y a de plus raté ; vous avez au fond abouti à ce que l’être soit intégré.
Pour ça, il a fallu qu’il oublie l’essentiel. Cette réussite est un
raté.
LACAN : Je ne suis pas sûr que ce soit ce que veut dire Heidegger quand
il indique cet oubli fondamental à toute incarnation temporelle (incarnation
temporelle n’est pas de lui) de l’être.
HYPPOLITE : C’est une autre question que je pose pour Heidegger. Il
n’accepterait pas le mot réussi. Réussi ne peut être qu’un point de
vue de thérapeute.
LACAN : Oui, c’est ça, c’est un point de vue de thérapeute. Néanmoins,
cette sorte de marge d’erreur qu’il y a dans toute réalisation de l’être
est toujours réservée semble-t-il par Heidegger à une sorte de léthé
fondamental, d’ombre de la vérité.
HYPPOLITE : La réussite du thérapeute, pour Heidegger, c’est ce qu’il
y a de pire ; c’est l’oubli de l’oubli. C’est ça ce qui est le plus
grave pour Heidegger, qui ne se pose pas au point de vue du thérapeute,
c’est l’oubli de l’oubli. Tandis que l’authenticité heideggérienne est
justement qu’on ne sombre pas dans l’oubli de l’oubli.
LACAN : Oui. Parce qu’Heidegger a fait une sorte de loi philosophique
de cette remontée aux sources de l’être.
Provisoirement, nous laisserons cette question en suspens. Si je l’introduis
là, et si je ne laisse pas passer l’intervention de Mannoni – J’aurais
aussi bien pu l’écarter – c’est je crois que nous aurons à nous poser
la question : dans quelle mesure un oubli peut-il être réussi ? Dans
quelle mesure toute analyse doit-elle déboucher sur ce que j’ai appelé,
à l’instant même, cette remontée dans l’être ? Ou sur un certain recul
dans l’être, pris par le sujet à l’endroit de sa propre destinée ?
En d’autres termes, puisque je saisis toujours la balle au bond, je
devance un peu les questions qui pourraient être posées par la suite
; à savoir, si le sujet en somme qui part de là (d’O) point de confusion
et d’innocence au départ, si la dialectique de la réintégration symbolique
du désir, qui vient de là (de o'), qui va poser d’autres questions :
où ça va aller, ça en fin de compte ? Ou s’il suffit simplement que
le sujet nomme en quelque sorte ses désirs, ait en somme la permission
de les nommer, pour que tout aussi bien l’analyse soit terminée et finie
?
C’est justement là la question que je m’en vais poser peut-être à la
fin de cette séance. Vous verrez que je n’en reste pas là.
Mais à la fin, tout à la fin de l’analyse, après un certain nombre
de circuits accomplis, qui auront permis la complète réintégration de
son histoire, le sujet sera-t-il toujours là (en O) ?
Ou bien, un peu plus par là (vers A) ? En d’autres termes, reste-t-il
quelque chose du sujet au niveau du point d’engluement qu’on appelle
son ego ? L’analyse a-t-elle seulement et purement affaire avec ce qu’on
considère – qu’on a l’air de considérer – comme une sorte de donnée,
à savoir l’ego du sujet. Comme s’il s’agissait là d’une structure seulement
interne, qu’on pourrait en quelque sorte perfectionner par l’exercice
? Et vous verrez que c’est bien à cela qu’un Balint, que j’aurai à commenter
dans les séances suivantes, et toute une tendance dans l’analyse, en
viennent à penser qu’ou bien l’ego est fort, ou bien l’ego est faible
; et que cette ambiguïté persiste, là-dessus s’il est faible, on pourrait
être normalement bien embarrassé !
Mais ils sont amenés à cette position par une sorte de logique interne
à penser que, s’il est faible, il faut le renforcer ; et à partir du
moment où l’on pense que l’ego, sans autre complément, est purement
et simplement cet exercice de maîtrise du sujet par lui-même, qui est
en quelque sorte situé quelque part dans son intérieur, c’est-à-dire
à partir du moment où on maintient la notion de l’ego comme d’un pouvoir
de maîtrise tout donné, qui est là quelque part, au sommet de la hiérarchie
des fonctions nerveuses, on s’engage tout droit dans cette voie qu’aussi
ce dont il s’agit est de lui apprendre à être fort, on rentre dans la
notion d’une éducation par l’exercice, d’un « learning », voire même,
- comme l’écrit un esprit aussi lucide de Balint – dans la voie de la
performance. A propos de ce renforcement de l’ego au cours de l’analyse,
Balint ne vient à rien de moins qu’à faire remarquer combien le moi
est perfectionnable. Il dit : il y a seulement quelques années ce qui
dans tel ou exercice ou sport était considéré comme le record du monde
est maintenant tout juste nécessaire pour dégager un athlète moyen ;
c’est donc qu’il se passe quelque chose autour duquel le moi humain,
quand il se met en concurrence avec lui-même parvient à des performances
de plus en plus extraordinaires, moyennant quoi on est amené à déduire
(nous n’en avons aucune preuve et pour cause) en quoi un exercice comme
celui de l’analyse structurerait-il le moi, introduirait-il dans les
fonctions du moi un apprentissage tel que celui-ci ne serait rien d’autre
– c’est de cela qu’on parle, quand on parle en analyse de faiblesse
ou de force du moi – que le rendre capable de tolérer une grande somme
d’excitation ?
En quoi est-ce que l’analyse par elle-même – un jeu verbal – pourrait-elle
servir à quoi que ce soit dans le genre de cet apprentissage ?
Il ne s’agit que de ça ! A savoir si nous ne faisons pas ça – et c’est
ce que je suis en train de vous enseigner – si nous ne voyons pas ça,
si nous nous aveuglons à ce fait fondamental ; que nous apporte l’analyse,
que l’ego est une fonction imaginaire, c’est toute la différence entre
la voie dans laquelle toute l’analyse, ou presque, s’engage d’un seul
pas de nos jours, et ce que je vous enseigne : la différence radicale
qu’il y a entre une certaine conception de l’ego, et cette conception
de l’ego comme fonction imaginaire, dont je vous montre là la forme
et les ressorts, les faces et les étapes.
C’est pourquoi, à partir du moment où nous considérons l’ego comme
fonction imaginaire, il est loin de se confondre avec le sujet, il ne
se confond pas avec le sujet au départ.
Car, qu’est-ce que nous appelons un sujet ? Très précisément ce qui,
dans le développement de l’objectivation, est en dehors de l’objet.
L’idéal de toute la science jusqu’à certaines limites est de réduire
le sujet à quelque chose qui peut se clore et se boucler dans un système
d’interactions de forces, où en fin de compte l’objet n’est jamais qu’un
objet pour la science. Il n’y a qu’un seul sujet : le savant qui regarde
l’ensemble, et espère un certain jour tout réduire à un certain jeu
déterminé de symboles enveloppant toutes les interactions entre objets.
Il est tout de même forcé, dans un certain domaine, de toujours impliquer
qu’il y a quelque chose qui est en sorte l’action qui est que, quand
il s’agit d’un être organisé, on peut le considérer sous les deux angles,
mais quand on en parle, tant qu’on en parle et qu’on maintient, qu’on
suppose sa valeur d’organisme plus ou moins implicitement, on introduit
en lui la notion qu’il est un sujet.
Mais aussi bien on fait, et on peut faire pendant un certain temps,
pendant tout le développement de l’analyse d’un comportement instinctuel,
on peur éliminer, négliger cette position subjective.
Mais il y a un domaine où il n’est absolument pas négligeable, c’est
précisément dans le domaine du sujet parlant. Et pourquoi ? Parce que
le sujet parlant, comme tel, nous devons forcément l’admettre comme
sujet, pour une simple raison : qu’il est capable de sentir, c’est-à-dire
qu’il est distinct de ce qu’il dit.
Eh bien, cette dimension du sujet parlant et du sujet parlant en tant
que trompeur, est ce que Freud nous découvre dans l’inconscient. A savoir
que là où – car jusqu’à présent dans la science le sujet finit par ne
plus ... On finit par ne plus le retenir et le maintenir que sur le
plan de la conscience, bien entendu, puisque je vous ai dit que le sujet
au fond c’est le savant qui possède en lui le système de la science
: il est le sujet, pour autant qu’il est le reflet, le miroir, le support
de tout ce qui est du mode objectal – à partir du moment où Freud nous
montre que dans le sujet humain non seulement il y a quelque chose qui
parle, mais qui parle au plein sens du mot « parler », il y a quelque
chose qui ment, en connaissance de cause, et hors de l’apport de la
conscience, il y a là alors la réintégration au sens évident, imposé,
expérimental du terme de la dimension du sujet.
Mais cette dimension du sujet, du même coup, ne se confond plus du tout
avec l’ego, on ne peut plus du tout dire ... Le moi est déchu de ce
fait même de sa position absolue dans le sujet, le moi est un mirage,
comme le reste, un élément des relations objectales du sujet.
(Est-ce que vous y êtes ?)
Eh bien, justement, c’est pour ça que j’ai relevé au passage l’introduction
de Mannoni. C’est que la question se pose de savoir s’il s’agit seulement
dans l’analyse d’un élargissement des objectivation corrélatives d’un
ego considéré comme quelque chose de tout donné, d’un centre plus ou
moins rétréci (comme s’exprime Madame Anna Freud : plus ou moins rétréci,
est le sens exact du mot qu’elle emploie en allemand) et dont il s’agirait
qu’il s’agrandisse ?
Est-ce que, quand Freud écrit : « là où le ça était, l’ego doit être
», nous devons prendre cette phrase dans le sens de cet élargissement
du champ de la conscience, ou bien est-ce que c’est d’un déplacement
qu’il s’agit, c’est-à-dire que là où le ça était (ne croyez pas, d’ailleurs,
qu’il est là ! il est en bien des endroits, là mon schéma, le sujet
regarde le jeu du miroir en A ; pour un instant, identifions-le au sujet,
le ça, et disons que le ça était en A), que là où le ça était, en A,
l’ego doit être ? A savoir que l’ego s’est déplacé, (à la fin des fins
dans une analyse idéale il ne doit plus être là du tout) C’est fort
concevable, puisque tout ce qui est là doit être réalisé là, dans ce
que le sujet reconnaît de lui-même.
C’est là, dans toute cette dialectique, la question à laquelle je vous
introduis.
Est-ce que ça vous indique suffisamment une direction ?
Ce n’est pas épuisé !
Vous suivez, Mannoni ? Mannoni, qui a posé la question, suit, c’est
déjà quelque chose !
Quoi qu’il en soit, au point où j’étais parvenu avec la remarque de
l’homme aux loups, vous voyez l’utilité d’un pareil schéma, en ce sens
qu’il unifie, conformément d’ailleurs à la meilleure tradition analytique,
la formation originelle du symptôme, la signification du refoulement
lui-même, avec ce qui se passe dans le mouvement analytique, considéré
lui-même comme processus dialectique, au moins à ce départ du mouvement
analytique.
Je laisserai au R.P. Beinaert, avec cette simple amorce, le soin de
prendre son temps pour relire l’observation de l’homme aux loups, et
me faire un jour un petit résumé, voire aussi la mise en valeur d’une
certaine question que ça peut poser quand il aura rapproché ces éléments
de ce qu’il y a dans l’homme aux loups.
Ce que je veux pour l’instant, puisque nous en resteront là, sur le
sujet de l’homme aux loups, c’est avancer un petit peu dans certaines
questions qui ne sont pas seulement liées à ce schéma, mais qui sont
liées à ce qu’essentiellement il vise : la compréhension de ce qui est
la procédure thérapeutique, le ressort de l’action thérapeutique dans
l’analyse. Précisément là où je vous ai situé la question, que signifie
cette nomination, cette reconnaissance du désir, au point où elle est
parvenue, (en O) ? Est-ce que là tout, en quelque sorte, doit s’arrêter
?
Ou bien, est-ce qu’un pas au-delà est exigible ?
Aparté
Schéma de cette roue de moulin que Lacan ne dessinera
qu'à la fin du séminaire, celui du 7 juillet 1954

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Pour essayer de vous faire comprendre le sens de cette question, je
vais faire tout de suite un pas en avant. Il est bien clair que tout
le monde a remarqué depuis longtemps que l’analyste occupait une certaine
position, une certaine place par rapport à une fonction absolument essentielle
dans ce que je viens de vous rappeler, dans le fait que ce dont il s’agit
c’est l’intégration symbolique par le sujet de son histoire. Cette fonction,
on l’a appelé le surmoi. Elle est d’abord apparue dans l’histoire de
la théorie freudienne sous la forme de quoi ? De la censure. –J’aurais
pu aussi bien tout l’heure avancer aussitôt en illustration de la remarque
que je vous ai faite que dès l’origine nous sommes, à propos du symptôme
et aussi bien à propos de toutes les fonctions inconscientes au sens
analytique du mot dans la vie quotidienne, dans la dimension de la parole
– Si la censure s’exerce, c’est bien justement dans la fin absolument
essentielle de mentir, par mission de tromper. Ce n’est pas pour rien
que Freud a choisi ce terme de censure, cette notion d’une instance
en tant qu’elle scinde, coupe en deux, en une part accessible, reconnue,
et une part inaccessible, interdite, le monde symbolique du sujet. Cette
même notion nous la retrouvons, à peine évoluée, transformée, changée
d’accent, sous le registre du surmoi. Et il est tout à fait impossible
de comprendre ce qu’est cette notion de surmoi si on ne se rapporte
pas à ses origines.
Je vais mettre l’accent tout de suite (toujours il faut montrer où l’on
va) sur l’opposition entre la notion de surmoi telle que je suis en
train de vous rappeler une de ses faces, et celle qu’on use communément.
Communément, le surmoi est toujours pensé dans le registre d’une tension,
tout juste si cette tension n’est pas ramenée à des références purement
instinctuelles : maschisme primordial, par exemple. Freud va même plus
loin, à un certain moment, - précisément dans l’article « Das Ich und
das Es », le moi et le ça – il va jusqu’à faire remarquer, c’est frappant,
que plus le sujet réprime ses instincts, (plus dans le fond, dans un
certain registre, on pourrait considérer sa conduite comme morale),
plus le surmoi exagère sa pression ; devient sévère, impérieux, exigeant.
C’est une observation clinique qui n’est pas universellement vraie.
Si Freud se laisse emporter par son objet, qui est la névrose ; et va
jusqu’à considérer le surmoi comme quelque chose, comme ces produits
qui seraient produits, dont on voit l’action, et qui de leur activité
vitale dégageraient une série de substances toxiques qui mettraient
fin au cycle de leur production, dans des conditions données (il faut
voir jusqu’où c’est poussé ; c’est intéressant, parce qu’en réalité
c’est implicite dans toute une conception latente qui règne dans l’analyse
au sujet du surmoi)
Il y a tout de même autre chose ! Qu’il conviendrait de formuler en
opposition à cette conception, c’est ceci : Le surmoi est très précisément
du domaine de l’inconscient une scission du système symbolique intégré
par le sujet comme formation de la totalité qui définit l’histoire du
sujet ; donc que l’inconscient est une scission, limitation, aliénation
par le système symbolique pour le sujet, et en tant qu’il vaut pour
son sujet, le surmoi est quelque chose d’analogue qui se produit, dans
quoi ? Aussi dans le monde symbolique ; mais qui n’est pas uniquement
limité au sujet, car le monde symbolique du sujet se réalise dans une
langue qui est la langue commune, qui est le système symbolique universel,
pour autant qu’il est dans son empire, sur une certaine communauté à
laquelle appartient le sujet. Le surmoi est justement cette scission
en tant qu’elle se produit – et non pas seulement pour le sujet dans
ses rapports avec ce que nous appellerons la loi.
Je vais illustrer cela d’un exemple, parce que là vous êtes si peu habitués
à ce registre, en vérité, par ce que l’on vous enseigne en analyse,
que vous allez encore croire que je dépasse ses limites. Il n’en est
rien. Je vais me référer à un de mes patients.
Il avait déjà fait une analyse avec quelqu’un d’autre avant de se référer
à moi. Il avait des symptômes bien singuliers dans e domaine des activités
de la main – organe significatif pour des activités divertissantes sur
lesquelles l’analyse a porté de vive lumière – Une analyse conduite
selon la ligne classique s’était évertuée, sans succès, à organiser,
à tous prix ses différents symptômes autour, bien entendu, de l’histoire
de masturbation infantile, et des activités interdictrices et répressives
; que ces activités auraient entraînées dans l’entourage du patient.
Bien entendu, celles-ci existaient puisque ça existe toujours. Malheureusement
ça n’avait rien expliqué, ni rien fait comprendre, ni rien résolu.
Ce sujet était – on ne peut pas dissimuler cet élément de son histoire,
quoi qu’il soit toujours délicat de rapporter des cas particuliers dans
un enseignement – de religion islamique.
Et un des éléments les plus frappants de son histoire du développement
subjectif, était l’espèce d’éloignement, d’aversion manifestée en détachement,
indifférence à l’endroit de ce qui est, comme vous savez, un registre
essentiel des individus dans cette culture, la loi coranique (qui est
quelque chose d’infiniment plus total que nous pouvons le supposer dans
l’ère culturelle qui est la nôtre et qui a été définie par le : « rend
à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ») ce n’est
absolument pas sur ces bases que les choses s’instaurent dans l’ère
islamique, où au contraire la loi a un caractère totalitaire, qui ne
permet absolument pas de définir, de discerner, isoler le plan juridique
du plan religieux.
D’où chez ce sujet une sorte de méconnaissance de la loi coranique,
chez un sujet appartenant par ailleurs, par ses ascendants, ses fonctions,
son avenir, à cette ère culturelle, c’était quelque chose de tout à
fait frappant. Ceci en fonction de l’idée que je crois assez saine qu’on
ne saurait méconnaître des appartenances symboliques d’un sujet. Cette
chose m’a frappé au passage, et c’est ce qui nous a mené au droit fil
de ce dont il s’agissait.
La loi coranique porte ceci, au sujet de la personne s’est rendu coupable
de vol « on coupera la main ».
Or, dans une particularité de son histoire, le sujet avait pendant son
enfance été pris au milieu d’un tourbillon privé et public, qui s’exprimait
à peu près en ceci qu’il avait entendu dire – tout un drame ; son père
était un fonctionnaire et avait perdu sa place – que son père était
un voleur ; qu’il devait avoir la main coupée.
Bien entendu, il y a longtemps que la prescription coranique – pas plus
que celle des lois de Nanou, qui nous dit : « celui qui a commis l’inceste
avec sa mère s’arrachera les génitoires et, les portant dans sa main,
s’en ira vers l’ouest ») n’est plus mise à exécution ! elle reste néanmoins
dans cet ordre de fondement symbolique des relations interhumaines qui
s’appelle la loi.
Et c’est justement dans la mesure où, pour ce sujet, cette part de la
loi a été isolée du reste d’une façon privilégiée, fondamentale, qui
à ce moment-là est passée dans ses symptômes, c’est à ce moment que
pour cette raison qu’aussi pour lui le monde de ses références symboliques
de ses arcanes primitives autour de quoi s’organisent pour un sujet
défini les relations les plus fondamentale à l’univers du symbole, pourquoi
aussi le reste a été frappé de cette sorte de déchéance, en raison même
de la prévalence tout individuelle qu’a pris pour lui cette prescription,
qui est pour l’ensemble de toute une série d’expressions inconscientes
symptomatiques chez lui, qui ont été liées au caractère précisément
qui les rend inadmissibles, originellement, conflictuelles de cette
expérience de son enfance.
En d’autres termes, ce que nous voyons là veut dire quoi ?
Que de même que je vous représente dans le progrès de l’analyse que
la résolution des symptômes, c’est autour des approches de ces éléments
traumatiques, parce que fondés dans une image qui n’a jamais été intégrée,
c’est là que se produisent les points, les trous, les points de fracture,
dans l’unification, la synthèse de l’histoire du sujet, ce en quoi tout
entier il peut se regrouper dans les différentes déterminations symboliques
qui font de lui un sujet ayant une histoire. De même c’est aussi dans
cette relation à quelque chose de plus vaste qui est absolument fondamental
pour l’existence de tout être humain, qui est la loi à laquelle il se
rattache, dans laquelle se situe tout ce qui peut lui arriver de personnel,
de particulier, d’individuel qui unifie son histoire en tant qu’il se
dit de tel ou tel de ces arrières plans qui structurent et fondent un
univers symbolique déterminé, et qui n’est pas le même pour tous.
C’est là qu’interviennent, par l’intermédiaire de la tradition et du
langage des diversification symboliques dans la référence du sujet,
c’est en tant que quelque chose, dans la loi, est discordant, ignoré,
doit être aboli, ou au contraire est promu au premier plan par un évènement
traumatique dans l’histoire du sujet, où la loi se simplifie dans cette
sorte de pointe qui devient caractère inadmissible, inintégral, qu’est
ce quelque chose d’aveugle, de répétitif ... Que nous définissons habituellement
dans le terme de surmoi.
J’espère que cette petite observation que j’ai mise au premier plan
aura été pour vous assez frappante pour vous donner l’idée d’une dimension
dans laquelle notre réflexion ne va pas souvent, mais qui est indispensable
si nous voulons comprendre quelque chose qui n’est pas ignoré dans l’analyse,
puisque aussi bien si, au sens de toute l’expérience analytique, cette
dimension de la loi nous ne pouvons jamais la supprimer complètement,
puisque tout y est tout à fait clair, tous les analystes en témoignent,
affirment qu’il n’y a aucune résolution possible d’une analyse, quelle
que soit la diversité des chatoiements des évènement archaïques qu’elle
met en jeu, sinon tout ça ne vient pas en fin de compte se nouer autour
d’une prise qui est essentiellement dominée par cette coordonnée légale,
légalisante, qui s’appelle le complexe d’oedipe.
Ceci est tellement essentiel de la dimension même de l’expérience analytique,
que ça apparaît dès le début de l’œuvre de Freud, la prééminence dans
l’édifice, comme système de coordonnées de l’oedipe. Cela a été maintenu
jusqu’à la fin de son œuvre. C’est dire que ce complexe d’oedipe occupe
une position privilégiée dans l’étape actuelle de notre culture, dans
l’état actuel extrêmement complexe, dans la civilisation occidentale,
où l’homme est mis en présence d’une évolution de la tradition, d’une
situation de l’individu par rapport à plusieurs.
J’ai fait allusion tout à l’heure à la division en plusieurs plans
du registre de la loi dans notre ère culturelle (et Dieu sait que la
multiplicité des plans n’est pas ce qui rend à l’individu la vie la
plus facile : nous nous trouvons sans cesse en présence de conflits
entre ces différents registres). Mais ce qui est maintenu dans le développement
individuel le plus fréquemment de la façon la plus dominante, c’est
en quelque sorte la stricte théorie freudienne, qui porte ses racines
dans la forme la plus ancienne, la plus fondamentale. Car à mesure qu’une
civilisation évolue dans la complexité de ses différents langages, son
point d’attache avec les formes plus primitives de la loi devient ce
point essentiel mais extrêmement réduit qu’est le complexe d’oedipe,
et justement ce qui est mis en avant par l’expression des névroses comme
étant ce retentissement dans la vie individuelle de ce registre que
j’appelle de la loi.
Mais ce n’est pas pour dire que, parce que c’est le point d’intersection
le plus constant, celui qui est exigible au minimum, que ce soit le
seul, et qu’il soit hors du champ de la psychanalyse qu’on permet au
sujet de se référer précisément dans ce monde extraordinairement complexe,
structuré organisé, voir antinomique, qui est sa position à lui personnelle,
étant donné son niveau social, son avenir, ses projets au sens le plus
plein, existentiel du terme, son éducation, sa tradition, que nous soyons
déchargés de tout ce qui est relation de cette reconnaissance du désir
du sujet qui se produit là (au point O) avec l’ensemble du système symbolique
dans lequel le sujet lui-même est (« .. ») au sens plein du terme, à
prendre sa place. Et si nous l’(..) nous pouvons nous rencontrer, comme
dans ce cas clinique ce qu’on peut appeler une méconnaissance pure et
simple de ce qui est en cause dans l’histoire du sujet, le fait que
le complexe d’oedipe soit toujours exigible dans sa présence, sa structure,
ne dispense pas pour autant de nous apercevoir que d’autres choses du
même niveau, sur le plan de la loi, peuvent y jouer, dans un cas déterminé,
un rôle tout aussi décisif.
Par conséquent, vous voyez bien qu’une fois que ce quelque chose, ce
nombre de tours qui est nécessaire pour que cette apparition dans les
objets du sujet de la complexion de son histoire imaginaire soit réalisée.
Tout n’est pas fini ici dans la nomination successive de ce qui est
en présence de cette image, la réintégration des désirs aussi successifs,
tensionnaires, suspendus, très précisément (..). Ceci n’est pas pour
autant accompli.
Donc ce qui a été là d’abord (en O), puis ici (en O’), puis revient
là (en O) doit aller se reporter là d’où il y a parole émergée du silence
de l’analyste, à savoir dans le système complété des symboles, pour
autant que l’issue de l’analyse l’exige ...
Où ceci doit-il s’arrêter ?
Est-ce à dire que nous devions pousser pour autant notre intervention
analytique jusqu’à des dialogues fondamentaux sur la justice et le courage
qui sont ceux de la grande tradition dialectique ? C’est une question.
Et c’est une question qui n’est pas facile à résoudre, parce qu’à la
vérité l’homme contemporain est devenu singulièrement inhabile à aborder
ces grands thèmes. Il préfère résoudre les choses en termes de conduite,
d’adaptation, de morale de groupe ... et autres balivernes.
Mais évidemment, cela pose également aussi une grave question, à savoir
celle de la formation humaine de l’analyste.
Eh bien, c’est l’heure où habituellement nous terminons, je vous laisserai
là pour aujourd’hui.
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