Mère-Ravage ou " Fille-Courage " ?

Liliane Fainsilber

J'ai commencé à relire l'histoire de la jeune homosexuelle, en gardant à l'arrière-plan l'histoire de Dora. Ce qui m'a frappé le plus dans cette relecture, c'est le rôle prépondérant que joue la mère de la jeune homosexuelle par rapport à celle de Dora que Freud fait intervenir très peu dans l'histoire de la névrose de Dora - ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait pas, elle aussi joué son rôle, de par, justement, son effacement, sa mise hors jeu, évincée par sa rivale, Madame K. .

De ce qu'en écrit Freud, elle rémoignait d'une préférence " outrée " pour ses fils et traitait très durement sa fille.
Elle n'était pas le moins du monde hostile à la passion qu'éprouvait sa fille pour cette demi-mondaine. Pour un peu elle aurait favorisé sa liaison si cela n'avait pas entaché la réputation de la jeune fille et par ricochet celle de la famille.
Au fond elle acceptait volontiers le " désistement de sa fille ", comme une sorte d'hommage à sa propre féminité.

Freud nous donne également une petite indication de la façon dont le père lui aussi participait aux effets de ravages que la mère provoquait chez sa fille, c'est à dire le renoncement à sa féminité. Il écrit : " Son comportement (celui du père) à l'égard de son unique fille était beaucoup trop déterminé par ses égards pour sa femme, la mère de la jeune fille. " Autrement dit il ne donnait pas appui paternel à sa fille pour échapper à l'arbitraire de la loi de la mère. Cette loi est celle qu'on appelle loi de la jungle.

Dans l'histoire de Dora, c'est la mère qui est évincée. Dans l'histoire de la jeune homosexuelle, c'est la jeune fille qui l'est, mais sans que cette défaite puisse être assumée, symbolisée, autrement que par cette démonstration bruyante : sa passion " dévorante " pour la Dame, démonstration adressée au père.

Par rapport à cette fonction décisive de la mère dans le structuration de cette perversion, j'ai été retrouver ce que dit Lacan dans l'Etourdit, un texte très tardif dans son enseignement, de 1972. J'y ai pensé parce qu'à propos des liens d'une fille à sa mère, il y parle de " ravage ".
C'est quand même un terme très fort, il évoque un désastre, une sorte de destruction.

Je cite ce passage :

" …l'élucubration freudienne du complexe d'Œdipe, qui y fait la femme poisson dans l'eau, de ce que la castration soit chez elle de départ (Freud dixit), contraste douloureusement avec le fait du ravage qu'est chez la femme, pour la plupart, le rapport à sa mère, d'où elle semble bien attendre comme femme plus de subsistance que de son père, - ce qui ne va pas avec lui étant second, dans ce ravage. " L'Etourdit paru dans Scilicet 4

Non seulement il y parle de ravage mais en quelque sorte le généralise en rajoutant " pour la plupart ". Par contre je ne saisis pas bien, la dernière partie de la phrase, celle qui concerne le père : " ce qui ne va pas avec lui, étant second dans ce ravage ". Cette formulation semble suggérer que lui aussi participe à ce ravage, mais en second. Mais en même temps, cette secondarité évoque peut-être aussi le fait que la fille a, d'abord et avant tout, maille à partir avec sa mère, car avant d'entrer dans l'Œdipe, elle doit traverser le préoedipe.
Donc avant de pouvoir " se réfugier dans l'Œdipe comme dans un port " (Freud dixit) on peut dire qu'elle a déjà du affronter bien des tempêtes, les tempêtes d'une mer déchaînée.

Retour Lacan relisant Dora dans le séminaire la relation d'objet