Dora et Sarah
Dans le séminaire de la relation d'objet

I

Liliane Fainsilber

 

Où en sommes-nous de notre lecture de Lacan relisant Dora ?

Si nous faisons un peu le point du chemin parcouru, nous avons tout d'abord travaillé le premier commentaire que Lacan a fait de le texte de Freud sur Dora, " Intervention sur le transfert ".
- Puis avec l'aide du schéma optique, nous avons surtout repéré les identifications viriles de Dora, comment elle aimait ou elle désirait, entre O et O' Madame K., par le truchement de Monsieur K. son objet d'identification et ce dans le séminaire des Ecrits techniques.

- Dans le séminaire des psychoses, Lacan a donné à Dora, un frère en hystérie, cet homme désormais baptisé : " le conducteur de tramway ". Je ne résume pas ce qu'il en déchiffre mais je rappelle simplement le fait qu'il leur attribue une question commune : " suis-je un homme ou une femme ?" mais aussi, avec en arrière plan de cette question, donc soutenue plutôt par les hystériques hommes, celle de : " qu'est- ce qu'un père, un père capable de procréer " c'est à dire de mettre des enfants au monde. C'est dans ce registre là en effet que Lacan interprète ces rites curieux de la couvade : Le père se mettant au lit, tout de suite après l'accouchement de sa femme et recevant ainsi les félicitations de l'entourage pour cet heureux événement. Il se substitue symboliquement à la mère, dans cette mise au monde de l'enfant. Il joue à l'accouchée. Si Lacan introduit la cette question, c'est parce qu'elle lui sert en quelque sorte de tremplin pour aborder la question de la structure de la psychose, liée au manque d'un signifiant, du signifiant du père. C'est en réponse, ou comme une sorte de solution" élégante " à cette profonde détresse que Schreber construit, avec son délire, un magnifique fantasme de grossesse. Il serait, un jour, l'épouse de Dieu et pourrait ainsi enfanter des milliers d'enfants schrébériens, " les enfants de son esprit ", les enfants de son délire.
Après cela Le conducteur de tramway et Dora nont plus qu'à aller se rhabiller avec leurs pauvres petits fantasmes de grossesse : Dora trainant la jambe après son opération de " l'appendicite " et notre cher conducteur de tramway souffrant des douleurs de l'accouchement comme Adam donnant naissance à Eve. A cette seule différence, que lui n'avait pas eu la chance d'avoir été au préalable endormi par Dieu le père.

Qu'est-ce que Lacan nous apporte de nouveau dans ce séminaire de la relation d'objet concernant les mésaventures de Dora avec Freud ?

Tout d'abord il change son fusil d'épaule et troque le schéma optique pour le schéma L. (Ce schéma, il l'a d'ailleurs déjà utilisé dans le séminaire des psychoses pour distinguer l'axe imaginaire et l'axe symbolique.
Je vous les rappelle également ici :

 


C'est avec l'aide de ces deux axes qu'il va pouvoir comparer l'histoire subjective de Dora et de Sarah (la jeune fille homosexuelle de Freud) mais aussi et surtout mettre en évidence les erreurs de Freud concernant les faits de transfert et donc les raisons de la rupture de l'analyse aussi bien pour Dora que pour Sarah.
Chemein faisant il nous livre des indications précieuses sur la radicale différence de structure qu'il y a entre la névrose et la perversion mais aussi la grande connivence qui existe entre Dora et Sarah, toutes les deux tournées vers le désir du père.

La richesse de ce cas !

Dans le fil du texte de cette séance une remarque de Lacan a tout d'abord retenu mon attention, le fait que " ce cas - celui de Dora - est d'une richesse telle qu'on peut encore y faire des découvertes, et ce rappel rapide ne peut en aucune façon remplacer la lecture attentive du cas ".
Je me rappelle avoir travaillé, il y a maintenant bien longtemps, un tout petit bout de ce texte de Freud où, pour indiquer les liens de Dora et de Madame K. et la satisfaction de cette dernière lorsque Dora s'occupait de ses deux enfants, Freud écrit textuellement " Médée était satisfaite de confier ses deux enfants à sa rivale Créûse "
Evoquer à propos des liens d'amitié de Dora et de Madame K. la Médée d'Euripide est en effet une association d'idée bien surprenante, surtout si l'on pense que Médée avait envoyé à sa rivale Créüse une unique empoisonnée qui l'avait faite mourir dans d'affreuses souffrances !
Comme autre piste à suivre Lacan nous indique aussi celle des quinze mois comme des quinze jours qui parcourent toute l'observation.

L'hystérique est quelqu'un qui aime par procuration

Dans la critique ou la lecture que Lacan avait faite il y a cinq ans, il avait posé le fait que l'hystérique est quelqu'un qui aime par procuration - vous retrouverez ceci dans une foule d'observations hystériques - l'hystérique est quelqu'un dont l'objet est homosexuel et qui aborde cet objet homosexuel par identification à quelqu'un de l'autre sexe.
Quelques plus lignes plus loin, il rajoute : " … c'est en tant que le moi de Dora, seulement le moi, a fit une identification à un personnage viril … c'est en tant qu'elle est Monsieur K ; que les hommes sont pour elle autant de cristallisations possibles de son moi, que la situation se comprend. En d'autres termes c'est par l'intermédiaire de Monsieur K… qu'elle est attachée au personnage de Madame K.

Mais Lacan rajoute qu'il est allé encore beaucoup plus loin, en indiquant que Madame K. n'est pas simplement une image narcissique de Dora, celle qu'elle aimerait être, mais -donc dans l'autre axe du schéma L, l'axe symbolique, Madame K est également la question de Dora.

Alors, cette fois-ci, c'est ma question, que vient faire dans cette galère, à savoir ce trio, le père de Dora. Puisque avec ce schéma en Z qui n'est qu'un schéma L simplifié, le père de Dora va occuper la place du grand Autre en contrepoint de la question de Dora qui est Madame K.
Est-ce que ce n'est pas là que se pose justement ce qu'il en est du désir du père pour une femme, en la personne de Madame K.
Ce qui fait que, sur l'axe imaginaire, Dora et Monsieur K font leur duo, et sur l'axe symbolique, le père de Dora et Madame K se font la paire.


Sarah remettait en cause la promesse non tenue du père, sa versagung " tu auras un enfant de moi " en ce même lieu, Dora interroge, elle, le désir de son père mais en tant qu'il est justement impuissant.
En annexe je suggérerai ces autres questions : quels étaient les liens du père de Dora à son propre père ? Comment avait-il résolu son Œdipe ? Quelles étaient les raisons de son impuissance ? Toutes ces questions là Dora devait se les poser in petto.

 

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