Dora ou la question de l’hystérique

(dans le séminaire des psychoses Séance du 14 mars 1956)

Liliane Fainsilber

A propos de l’observation du conducteur de tramway, une observation d’hystérie masculine avec un curieux fantasme de grossesse – comme Adam, il souffre de douleurs terribles au niveau de sa dernière côte et ne peut donc que donner naissance à une nouvelle Eve – Lacan effectue un rapprochement avec l’histoire de Dora. Il crée un parallèle entre l’hystérie masculine et l’hystérie féminine, mais pour dire que tous, hommes ou femmes, se posent la même question, question qu’ils mettent en scène dans leurs symptômes : qu’est- ce que c’est qu’être une femme ? Je cite ce passage : « Quand je vous expose les choses ainsi (il parle des symptômes d’accouchement du conducteur de tramway), vous ne pouvez pas manquer de faire le rapprochement avec ce sur quoi j’ai mis l’accent dans le cas de Dora. À quoi aboutit-elle en effet, si ce n’est à une question fondamentale sur le sujet de son sexe ? Non pas sur quel sexe elle a, mais qu’est-ce que c’est que d’être une femme ? Les deux rêves de Dora sont absolument transparents à cet égard –, – on ne parle que de cela. Qu’est-ce que c’est qu’être une femme et spécifiquement qu’est ce qu’un organe féminin ? Remarquez que nous nous trouvons là devant quelque chose de singulier, la femme s’interroge sur ce qu’est être une femme, de même que le sujet mâle s’interroge sur ce qu’est être une femme. C’est là que nous reprendrons la prochaine fois. » Nous retrouvons, dans la séance suivante, mais transposée au niveau du schéma L, cette fois-ci entre a et a’, la problématique de Dora avec Madame K qui se jouait entre O et O’ dans le schéma optique. Cela vaudra donc le peine de mettre en correspondance les deux schémas pour y repérer cette double équivalence. D’autre part une formule de Lacan a retenu mon attention : Tout comme, selon la formule d’Aristote, « L’homme pense avec son âme » il faut dire « le névrosé pose sa question névrotique avec son moi ». Et poursuivant son propos si Dora pose sa question hystérique avec son moi, celui-ci prend la forme … de Monsieur K. « La topique freudienne du moi nous montre comment un hystérique ou une hystérique, comment un obsessionnel, use de son moi pour poser la question, c’est-à-dire justement pour ne pas la poser. La structure d’une névrose est essentiellement une question …. Cela s’illustre de la façon dont je vous parle depuis toujours de l’hystérie, à laquelle Freud a donné l’éclairage le plus éminent dans Dora. Qui est Dora ? C’est quelqu’un qui est pris dans un état symptomatique très clair, à ceci près que Freud, de son propre aveu fait une erreur sur l’objet de désir de Dora, dans la mesure même où il est lui-même trop centré sur la question de l’objet, c’est-à-dire où il ne fait pas intervenir la foncière duplicité subjective qui y est impliquée. Il se demande ce que Dora désire, avant de se demander qui désire dans Dora. Et Freud finit par s’apercevoir que dans ce ballet à quatre - Dora, son père, Monsieur et Madame K. – c’est Madame K. l’objet qui intéresse vraiment Dora, en tant qu’elle-même est identifiée à Monsieur K. La question de savoir où est le moi de Dora est ainsi résolue _ le moi de Dora, c’est monsieur K. La fonction remplie dans le schéma du stade du miroir par l’image spéculaire, où le sujet situe son sens pour se reconnaître, où pour la première fois il situe son moi, ce point externe d’identification imaginaire, c’est dans Monsieur K que Dora le place. C’est en tant qu’elle est Monsieur K. que tous ses symptômes prennent leur sens définitif. …. Que dit Dora par sa névrose ? Que dit l’hystérique femme ? Sa question est la suivante : qu’est-ce qu’être une femme ? On entre par là plus avant dans la dialectique de l’imaginaire et du symbolique dans le complexe d’Œdipe. Toute la question va tourner autour du fait « qu’il n’y a pas de représentation du sexe de la femme comme tel ». Il y a là un manque dans le symbolique qui provoque des effets imaginaires à savoir des symptômes. Ceci n’est qu’une toute première approche de ces deux séances, plein de questions se posent encore à leur propos et des questions loin d’être résolues pour moi. Je n’en cite que quelques-unes : - Le passage du schéma optique au schéma L, ce qui s’en dégage comme étant l’axe symbolique. - Les fantasmes de grossesse dans la névrose et dans la psychose, puisque c’est dans ce but que Lacan reprend cette observation d’hystérie traumatique, celle du conducteur de tramway. Mais alors si ces fantasmes de grossesse ont une telle importance aussi bien dans la névrose que dans la psychose, comment expliquer que l’accent n’est pas davantage mis sur les fantasmes de grossesse de Dora mis en scène par sa crise d’appendicite. Je suggérerais bien que c’est la brièveté de cette analyse qui y a fait obstacle. Il y a aussi le parrallèle entre les formes d’hystérie féminine et masculine, enfin, est même posée la différence de problématique, encore que simplement suggérée entre l’hystérie et la névrose obsessionnelle. La série de ces oppositions se terminant ou se déterminant sans doute par l’opposition entre l’Œdipe masculin et l’Œdipe féminin et leurs liens au complexe de castration. Vous vous en souvenez sans doute ; grâce au complexe de castration, quand l’une y entre, dans l’Œdipe ( c’est la fille) l’autre en sort vite fait ( c’est le garçon) Ces deux séances sont donc d’une extrême richesse clinique. Je terminerais enfin sur cette phrase tout à fait percutante pour différentier ces deux registres de l’imaginaire et du symbolique, du signifié et du signifiant : « lire dans le marc de café ce n’est pas lire des hiéroglyphes ». C’est juste une première approche et plein d’autres questions restent en suspens et des difficultés non résolues.

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