Le désarroi de Freud

Un autre renversement dialectique

Joëlle Froidure

Voici ce qui m’a vraiment frappé dans la lecture de la conférence de LACAN sur le transfert :

1) Le transfert est envisagé du point de vue de l’analyste et on pourrait dire que c’est une sorte de renversement dialectique, un renversement de point de vue.

Pour LACAN, « le transfert indique les moments d’errance et aussi d’orientation de l’analyste » et il précise que ce serait : « la somme des préjugés, des passions, des embarras, voire de l’insuffisante information de l’analyste ».

FREUD parle du transfert essentiellement comme une manifestation du patient envers le médecin; ainsi le définit-il en 1916, dans la 27 éme conférence d’Introduction à la Psychanalyse :

« Nous entendons par là un transfert de sentiments sur la personne du médecin, parce que nous ne croyons pas que la situation de la cure puisse justifier le genèse de tels sentiments. Nous présumons plutôt que toute cette disposition sentimentale vient d’ailleurs, qu’elle était déjà prête chez le malade et qu’à l’occasion du traitement analytique, elle est transférée sur la personne du médecin”. Freud parle de contre transfert quand il parle du transfert de l’analyste et il n’évoque que très peu cette notion.

2) Ce qu’indique LACAN concernant le transfert du patient, est ceci : “ Le transfert n’est rien de réel dans le sujet, il n’indique que les modes permanents selon lequel le sujet constitue ses objets. Le transfert du patient, c’est la manifestation à un moment donné, à un moment de creux dans le déroulement de la cure, à un moment de point mort, c’est la manifestation d’un comportement habituel du patient envers ses objets, et il ne prend son sens qu’en fonction du moment dialectique où il se produit; c’est de toutes façons une sorte de rappel à l’ordre du rôle du psychanalyste”`

« Ainsi si Freud s’était mis en jeu comme personne auprès de Dora, cela l’aurait préservé sans doute d’insister trop sur les propositions de mariage de MR K.; si Freud avait fait remarquer à Dora qu’elle lui prêtait les mêmes intentions à son égard que Mr K. cela aurait sans doute changé le cours de la cure, car cela aurait permis à Dora ler le réel objet de son intérêt : Mme K. »

3) Le désarroi de FREUD

Encore un renversement de situation.

Quand j’ai lu la conclusion de Dora, ce qui a retenu toute mon attention est la petite note de FREUD écrite quelques 20 ans après la cure de Dora, où il dit:”Avant que je reconnusse l’importance des tendances homosexuelles chez les névrosés, j’échouais souvent dans les traitements ou bien je tombais dans un désarroi complet “

Tout à coup, voilà que m’apparaissait un autre Freud, non plus le scientifique, l’homme aux intuitions géniales, l’homme sûr de lui et logique, mais un homme qui pouvait rater et qui pouvait être envahi par des émotions incontrôlables; et le transfert est bien la mise en jeu d’émotions entre l’analyste et le patient; et peut être qu’à ne pas reconnaître ses propres émois et son propre désir, l’analyste tombe dans un puits profond où il ne comprend et n’entend plus grand chose;

Serait-ce ceci qui aurait provoqué le passage à la trappe de FREUD et qui aurait causé son profond désarroi ? Serait-ce parce qu’il était trop intéressé, trop touché par Dora qu’il ne pouvait même pas prononcer une interprétation le mettant en jeu comme homme auprès d’elle, est ce à cause de cet émoi non reconnu et donc non parlé que Freud est passé à la trappe et que l’analyse a tourné court? Cette disposition sentimentale lui était-elle d’autant plus cachée que Dora était “la choisie “ de son ami Mr K.

Un désarroi complet est-il comme un clignotant qui dans la pratique analytique peut servir de signal pour comprendre ou analyser son propre transfert en tant qu’analyste, c’est à dire son propre désir ?


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