En vers et contre tout

Liliane Fainsilber

 



J'ai continué à lire la seconde partie de ces notes datées cette fois-ci non plus du 2 décembre mais du jeudi 2 janvier. P. 235.

Il y a le supplice des rats attribué cette fois-ci non plus à sa cousine ni à son père dans l'au-delà mais à sa sœur puis - et il me semble que c'est la première fois qu'il en parle - c'est lui-même qui le subit. Retournement du sadisme sur lui-même :

" Pendant qu'il souhaite les rats à Erika, il sent lui-même le rat qui commence à lui ronger l'anus et il le voit de façon plastique ".
Freud indique qu'au cours de cette séance il peut lui dire beaucoup de choses. Comme l'indique le traducteur en notes Freud se livre ici à une série de reconstructions à partir de ce fantasme au hareng.

Ernst a sans doute eu des vers. Et on a dû également lui faire des lavements.
" Il a dû se rebiffer particulièrement contre eux, puisqu'un plaisir refoulé s'y trouvait caché ".
On pense, à propos de ce " plaisir refoulé " à cette phrase de Freud, à propos de ce supplice des rats, phrase qui est devenue depuis célèbre : " A tous les moments du récit qui ont une certaine importance, on remarque chez lui une expression étrange, que je ne peux interpréter que comme l'horreur d'une volupté qu'il ignore lui-même " ( p. 45)
Lacan l'a traduite ainsi " l'horreur d'une jouissance à lui-même ignorée ".

Donc voici ce que Freud lui dit à propos des harengs : " l'histoire des harengs, lui dis-je, me rappelle beaucoup ces lavements (à un stade préliminaire il avait dit " wächst ihm zum Halse heraus " [ Il en avait jusque-là ] Le traducteur propose cette traduction littérale " me grandit hors de la gorge ".
Est-ce que c'était des lavements dont il avait jusque-là ? C'est intéressant de voir comment le bout oral se substitue au bout anal du tube digestif.

Autre point suggéré par Freud, il s'agirait d'une thérapeutique, pour lutter contre le ténia - donc un vers - on donne à manger des harengs. C'est ce qu'on appelle ainsi des remèdes de bonnes femmes.
Ernst continue à associer sur des histoires de vers.
" A Munich, il découvrit un grand ver rond dans ses selles après avoir rêvé qu'il se tenait debout sur un tremplin qui tournait en rond avec lui. C'était les mouvements du vers. Il a toujours un besoin pressant d'aller à la selle tout de suite après son réveil).
C'est curieux comme le fil des associations de Freud (car il semble que ce sont davantage celles de Freud plus que celles de l'analysant ) le dirige alors vers la question de la mort et de la masturbation.

Ce qui fait lien entre ces trois thèmes, les vers, la mort, la masturbation, c'est un double souvenir écran de Ernst :
Premier souvenir : Un cousin entrain de déféquer et qui lui montra un gros vers rond. Dégoût.
Second souvenir raconté en contiguité avec le premier :
" Il avait peut-être moins de six ans. Sa mère avait retiré d'un chapeau un oiseau empaillé qu'à sa demande elle lui prêta pour jouer.
C'est " jouer avec l'oiseau "qui introduit le thème de la masturbation.
Ses ailes se mirent à bouger et il crût qu'il était redevenu vivant.
Ce qu'on peut au moins retenir pour l'instant c'est que Ernst glisse le long de cette longue équation symbolique décrite par Freud merde = argent = cadeau = pénis = enfant.
Avec cette série de vers, il expérimente ce que Freud appelle " le baton fécal " s'agitant dans l'orifice cloacal, intestinal, réceptacle du pénis, selon les théories sexuelles infantiles étayées sur les signifiants pulsionnels. Pour Dora, c'était des signifiants oraux pour Ernst ou comme pour l'homme aux loups, c'était des signifiants anaux. Les lavements de Ernst rappellent ceux de l'Homme aux loups. Je continue un peu plus car cette série de notes est fourmillante.

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