Résumé
des épisodes précédents
Liliane Fainsilber
1 - le premier et unique entretien préliminaire
Ernst
est un homme de trente ans, un juriste. Il énumère ses symptômes
dont les " craintes que quelque chose n'arrive à deux personnes qu'il
aime beaucoup, son père et une dame qu'il vénère "
Il a aussi l'impulsion de se trancher la gorge avec un rasoir ou encore l'impulsion
de faire du mal, de faire souffrir Sa dame.
En fin de ce premier entretien
nous apprenons qu'il faut qu'avant d'accepter les conditions de Freud, dont celle
concernant le prix des séances, il faut qu'il en parle à sa mère.
Or il a trente ans et travaille, il doit donc gagner sa vie.
2 -
Première séance datée du mercredi 2 octobre
Il
évoque le fait que lorsqu'une impulsion criminelle le tourmente - (qu'appelle-t-il
impulsion criminelle : est-ce purement simplement le désir de tuer, par
exemple, est-ce que cette impulsion à se trancher la gorge ne serait pas
le retournement sur lui-même de trancher la gorge de quelqu'un d'autre,
de ses proches ?) il va voir son ami Guthmann et lui demande s'il le juge comme
un criminel.
Il évoque aussi un autre ami qui a été
cause d'une grande déception au cours de son adolescence. Un dénommé
Lewy qui avait recherché son amitié mais uniquement pour avoir l'occasion
de rencontrer l'une de ses surs.
Mais il qualifie cette déception
vis à vis d'une amitié masculine, comme ayant été
" le premier grand choc de sa vie ".
Est-ce à dire qu'il
l'évoque comme ayant été un véritable événement
traumatique ? Je serais assez tentée de dire que c'est quelque chose comme
un souvenir-écran qui se rapporte à quelque chose de plus ancien.
Ce souvenir date de ses quinze ans.
Peut-être pourrait-il s'agir, d'une
préférence accordée à l'une de ses surs par
ses parents à son détriment, pour qu'il le qualifie de " premier
grand choc de sa vie ". Mais c'est une simple hypothèse.
Viennent ensuite trois souvenirs d'enfance celui avec Mademoiselle Robert
et celui avec Mademoiselle Rosa.
Deux scènes sexuelles qu'il décrit
comme ayant été réellement vécues. On peut remettre
en question la réalité de ces scènes et les considérer
comme des souvenirs-écrans, souvenirs qui à ce moment là,
tout comme un rêve, doivent être interprétées. Ce qui
nous met la puce à l'oreille, concernant ce souvenir avec Mademoiselle
Robert, c'est ce que Freud note en marge de ce souvenir : " le nom me frappe
". et il évoque son " homosexualité ". alors que
les scènes ont pour partenaires des femmes.
Enfin un autre souvenir
concernant une conversation des femmes qui s'occupaient de son frère et
de lui sur une évaluation en sa défaveur sur ses possibles exploits
sexuels.
Donc aussi bien par rapport à ses surs que par rapport
à son frère, il n'avait pas la préférence.
Mais
ce qui semble le plus saillant de cette séance c'est " son brûlant
désir de voir des femmes nues "
3 - Deuxième
séance du Jeudi 3 octobre
A noter que Ernst a des séances
quotidiennes. Quatre jours se sont passés depuis qu'il a rencontré
Freud pour la première fois et il raconte ce pourquoi il est en fait venu
le voir : sa grande obsession des rats.
Deux événements
vont entrer dans sa composition :
- La perte de son pince-nez et le fait qu'il
en avait commandé au autre en urgence à son opticien à Vienne.
- Le récit du capitaine cruel, ce supplice pratiqué en orient
qui consistait à introduire de force dans l'anus du supplicié deux
rats affamés.
Dès qu'il eut entendu ce récit une
idée lui vint - c'est donc le point de naissance de son obsession - voici
ce qu'en écrit Freud : " A ce moment-là je fus tout entier
secoué par une représentation : cela arrivait à une personne
qui m'est chère ". Freud rajoute ce commentaire : " il dit représentation
mais le mot " souhait " est plus fort et plus exact, est sans doute
caché par la censure. "
Il me paraît important de noter
que dans cette séance au moins l'histoire du pince-nez n'intervient pas
encore quand il a l'idée d'appliquer le supplice des rats à sa Dame.
Il me semble que Freud en modifie quelque chose dans la troisième séance.
Mais on ne sait pas exactement comment il s'y insère.
A ce moment-là
tous les deux, Freud et Ernst " échangent des propos sur ses idées
obsédantes ".
Et nous apprenons donc que ce que Ernst appelle
" sanction " ce n'est pas comme on pourrait le croire une sorte de punition
qu'il s'infligerait - nous en aurons besoin pour saisir ensuite les mécanismes
complexes de lutte entre ses obsessions et ses sanctions, ce qu'il appelle "
sanction " c'est en fait une façon d'essayer de se défendre
contre son idée obsédante. Freud dit c'est " ce qu'il lui faut
faire pour qu'un tel fantasme, [tel souhait pourrait-on dire] ne se réalise
pas.
Il en donne deux exemples : un " Aber " qui veut dire "
Mais " suivi d'un geste de la main. Le second est un " qu'est-ce qui
te prend donc ! ". Donc là c'est ce que Ernst appelle sanction et
s'est destiné à repousser son obsession. Ce repérage est
important à faire pour comprendre la suite.
Quand dans la soirée,
le même capitaine, celui qui a raconté le supplice des rats, lui
dit que ces lorgnons sont arrivés et que c'est le lieutenant David qui
a avancé l'argent à sa place, il lui vient cette " sanction
" donc cette mesure de défense
"Ne pas rendre l'argent
au capitaine David, sinon sa maladie deviendrait réelle. "
Evidemment
cette phrase est ambiguë à mon avis elle veut dire que s'il rend l'argent,
son souhait se réalisera, sa Dame subira le supplice des rats.
Mais
il lui vient alors un autre " commandement " comme un serment. Ce commandement
prend cette forme " il faut que tu rendes l'argent au capitaine David. Est-ce
qu'à ce moment là, ce n'est pas son souhait qui reprend le dessus,
malgré le mécanisme de défense qu'il avait tenté de
lui opposer ?
Si on reprend la formule de sa sanction " ne pas rendre
l'argent au capitaine David, sinon cela arrivera " on peut en toute logique
en déduire que s'il rend cet argent, cela va arriver.
A la fin
de la séance nous apprenons tous les efforts que fait Ernst pour réaliser
son serment, celui de donner l'argent au capitaine David, mais après maintes
péripéties, nous apprenons que ce dit capitaine refuse d'accepter
son argent tout simplement parce que ce n'est pas lui qui l'a avancé. Devant
cette impossibilité de tenir son serment, il pense aussitôt que "
tous vont subir le supplice des rats, tous signifie surtout son père défunt
et sa Dame. (J'ai fait un lapsus et j'avais écrit et sa mère, car
celle-là pour l'instant on n'en parle pas beaucoup.
Donc si j'ai
bien pigé entre temps, ce qui devait la protéger, le fait de rendre
cet argent, la condamne maintenant.
Si j'essaie de faire comme Agnès
de codifier un peu sa démarche, je pars juste de quelques pages avant :
- Le récit du supplice des rats
- L'apparition de l'obsession
que sa Dame le subisse
- Le capitaine cruel lui dit de rembourser au capitaine
David.
- Première injonction : ne pas rendre l'argent sinon sa maladie
deviendra réelle
- Première sanction : tu dois rendre l'argent
au capitaine David (mesure de défense) pour réagir contre son obsession.
-Tentatives désespérées pour le lui rendre mais échec
de ces tentatives puisque ce n'est pas lui qui a payé. Or au moment où
il ne peut pas payer, lui vient alors l'idée, l'obsession que tous vont
subir le supplice des rats.
Dans cette démarche quelque chose
n'est pas du tout logique puisque lors de la première sanction il ne faut
pas qu'il rende l'argent sinon son obsession se réalisera et à la
fin quand il ne peut pas rendre cet argent c'est alors que le supplice des rats
subit une extension : tous le subiront y compris son père et sa Dame.
Je crois qu'il y a là un couac. Comme dit Agnès, il y a de quoi
devenir chèvre. Est-ce lui qui a changé d'avis ou bien est-ce Freud
qui s'est un peu mélangé les pédales dans ses notes.
Mais peut-être qu'avec cette troisième séance que nous
allons travailler les mécanismes de son obsession se mettront-elles mieux
en perspective. Je viens d'en faire une première lecture et bien rien n'est
moins sûr.
Mais il va y avoir quelque chose à modifier entre
la perte des lorgnons et le récit du capitaine cruel.
Pour nous
mettre du baume au cur par rapport aux difficultés que nous rencontrons
dans le déchiffrage de cette gigantesque formation obsessionnelle je cite
un passage du texte officiel des Cinq psychanalyses :
" Je ne serais
pas surpris que le lecteur eût été incapable de suivre ce
que je viens d'exposer. Le récit détaillé que me fit le patient
des événements antérieurs à ces jours et de ses réactions
à ces événements était lui-même rempli de contradictions
internes et paraissait extrêmement confus. Après un troisième
récit seulement je réussis à lui en faire remarquer toutes
les obscurités, et à lui dévoiler toutes les paramnésies
et les déplacements dont son récit faisait preuve. Je néglige
ici les détails dont nous apprendrons à connaître l'essentiel
et voudrais mentionner qu'à la fin de cette seconde séance, le patient
se trouva dans un état de stupeur et de confusion. A plusieurs reprises
il m'appella mon capitaine
." Voici que le transfert était en
place. Freud malgré ses dénégations était devenu pour
lui le capitaine cruel.
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