Notes sur la première séance de l'Homme aux rats

Mercredi 2 octobre 1907

Liliane Fainsilber

Entretiens préliminaires

On peut déjà remarquer qu'il n'y a donc qu'un seul entretien préliminaire, avant cette première séance d'analyse. Peu de travaux ont été faits par les analystes à propos de ces entretiens dits préliminaires. Quelle est, par exemple, leur durée ? Seul Lacan en a témoigné en indiquant que pour sa part, il faisait toujours de très longs entretiens préliminaires car il voulait être sûr qu'on ne s'engage dans une analyse qu'en y étant fermement décidé. (il faut que je retrouve ce passage - il me semble que c'est dans " Un discours qui ne serait pas du semblant ").

De l'expérience que j'en ai, par rapport à ma propre analyse, il s'est passé deux ou trois mois, avant de passer du fauteuil au divan. Je pense que Lacan attendait qu'on reformule une seconde fois la demande de faire une analyse, une seconde fois qui devait être plus près du désir inconscient, d'une certaine façon débarrassée de tout ce qui l'encombrait du point de vue de l'imaginaire, de ce qui lui servait de prétexte. Donc, là pour Freud, il n'y a pas ce temps de décision, dès le lendemain Ernst se trouve être mis à pied d'œuvre, mais lui aussi semble être dans l'urgence par rapport à l'intensité de ses remords : Il se pense quand même comme étant un grand criminel. Il doit être pressé de se débarrasser de cette idée.

Transferts virils

Il vient voir Freud, dans la lignée de ces hommes qui le rassuraient quant à cette qualification de criminel, qualification induite par la prédiction que lui avait faite son père " ce petit-là sera ou bien un grand homme, ou bien un grand criminel ! " (page 39 journal- page 233 cinq psychanalyses) Il y a donc en premier, ce Monsieur Lewy, un étudiant en médecine, le Docteur Guthmann, un juriste et le docteur Freud. A ce " monsieur Léwy " se rattache " le plus grand traumatisme de sa vie ". Est-ce que c'est lui qui le nomme ainsi ou est-ce Freud ? Ce passage n'est pas entre guillemets mais peut être une parole rapportée. Ce Monsieur Lewy avait fait semblant de s'intéresser à lui mais c'était pour pouvoir mieux s'approcher de l'une de ses sœurs, en devenant l'ami du frère. On ne sait pas encore de laquelle il s'agit, mais on peut dire que dès la première séance, elles sont là, ses sœurs et comme des objets rivaux.

Sa découverte du corps féminin

Tout de suite après l'évocation de ce premier traumatisme, sa déception par rapport à une amitié masculine, il évoque aussitôt, bille en tête, sa vie sexuelle infantile. Ses aventures érotiques avec une jeune gouvernante très jolie " Melle Robert ", dont il a oublié le prénom. C'est amusant en effet de constater- comme le souligne Freud- que les femmes sont, en général, appelées par leur prénom et les hommes par leurs noms de famille. C'est ce qui arrive au cours de cette première séance. A leur nom est même accolé ou un titre ou un Monsieur qui paraît dans le contexte un peu pompeux, un peu cérémonieux. Pour cette première séance, je trouve surprenant que cet homme aille droit au but : " Elle n'avait presque rien sur elle ; je tâte ses parties génitales et son ventre qui me paraît " curieux ". Depuis lors je n'ai cessé d'être tourmenté par une curiosité brûlante de regarder le corps des femmes ". Le mot " curieux " se redouble de sa " curiosité ". Ce jeune homme était comme saint Thomas, qui, selon la légende, ne croyait qu'à ce qu'il voyait. Là il n'avait fait, d'après ce qu'il raconte, que toucher, il lui fallait voir, voir de ses propres yeux, ce qui en était de la réalité, le manque phallique d'une femme. A propos de traumatisme, je trouve drôle que ce qui est annoncé comme " grand traumatisme de sa vie " soit sa déception par rapport à une amitié masculine, alors que de façon tout à fait contiguë se trouve, cet autre traumatisme sexuel, particulièrement violent, ce rapport avec une femme adulte " qui avait de grands besoins sexuels " et " qui se laissait faire avec complaisance ".

" … je l'identifie comme homosexuel "écrit Freud

C'est intéressant de voir dès cette première séance, le repérage de Freud : " D'après ces premières paroles et le compromis " Robert ", je l'identifie comme homosexuel " Voila, Freud était passé à côté de l'amour gynécophile de Dora pour Madame K., mais cette fois-ci, il ne compte pas laisser passer l'amour " virilophile " de son Homme aux rats. Il le met au premier plan et ce dès la première séance. C'est là que ce que Geneviève a déjà déchiffré pour nous de la structure de la névrose obsessionnelle nous sera très utile. Rappelez-vous, Freud a toujours indiqué, et Lacan lui a toujours emboîté le pas, que toute névrose obsessionnelle a toujours un soubassement de symptômes hystériques. Or tout symptôme hystérique est toujours la manifestation d'un double fantasme, un fantasme masculin, un fantasme féminin, de telle sorte que l'un de ses deux fantasmes est toujours un fantasme homosexuel. C'est ce fantasme sexuel homosexuel, exprimé par son symptôme hystérique, niché au cœur de sa névrose obsessionnelle, que gît le secret de cette formulation à l'emporte- pièce de Freud " Je l'identifie comme homosexuel ". Mais nous allons pouvoir étayer cette approche par notre lecture ligne à ligne de cette belle histoire analytique. Autre remarque à propos de cet événement traumatique - celui qui caractérise la N.O., c'est, au contraire de celui de l'hystérie - un événement où le sujet y joue un rôle actif et non passif. Ernst y joue bien un rôle actif. C'est lui qui touche et explore ce corps féminin mais par rapport à quel désir ? Par contre l'événement passif - celui qui concerne le soubassement hystérique de sa névrose est lui aussi évoqué dès cette première séance, celui où il était l'objet des évaluations de ses prouesses sexuelles de la part des servantes de la maison : " avec le petit on pourrait bien faire ça, mais Ernst est trop maladroit, il raterait sûrement son coup ". Mis en rivalité avec son frère, il est décidé que comme objet phallique il ne ferait pas le poids.

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