Journal d'une analyse ( suite et fin) Liliane Fainsilber
Je trouvais que ce journal d'une analyse se terminait un peu en queue de poisson, mais tout compte fait ce serait plutôt comme un serpent qui se mord la queue. Freud n'en dit pas beaucoup plus mais il achève quand même ces notes d'une part sur la question du complexe de castration de Ernst avec son rêve de dent " qui suinte ". Complexe de castration avec ses deux composantes, désir de castrer le père et crainte d'être castré en mesure de rétorsion. Par exemple la dent qui se transforme en oignon puis en oignon coupé en tranche. D'autre part, il met ce complexe de castration en relation avec la " castration, je dirais, réelle " de sa Dame. Elle a subi une ovariectomie bilatérale et ne pourra donc plus avoir d'enfant. Freud l'oriente dans cette direction mais Ernst refuse de le suivre. Il le fait par un travail sur le signifiant : " orchidées, sa cryptorchidie, l'opération de sa cousine ". On ne sait pourquoi les orchidées viennent là sinon en consonance avec la cryptorchidie, les testicules non extériorisés, restés intra-abdominaux étant assimilés à des oignons et aussi aux ovaires de la cousine, ovaires qu'on lui a enlevé. Mais si la métaphore d'un serpent qui se mord la queue convient mieux à la fin de ces notes, c'est que Freud fait justement un retour sur les premières séances, en tant qu'elles y prennent sens. On
retrouve, à propos de l'opération de sa dame, son désir de
voir des femmes nues. Enfin cinq rêves dont quatre sur des militaires. Avec ces militaires on retrouve donc si on peu dire, son départ en grandes manuvres au cours desquelles il avait entendu raconté par le capitaine cruel le supplice des rats - je me dis pour ceux qui ont pris ce travail de lecture en route - supplice qui consistait à introduire dans l'anus du supplicié deux gros rats affamés, qui suppose donc qu'il aurait été dévoré de l'intérieur. Il y a donc mélange de deux sortes de signifiants pulsionnels, anaux et oraux, par le fait qu'ils étaient affamés. Ils avaient des dents également, ces rats sont des rongeurs et Ernst rêve que le dentiste lui arrache une dent. Il y a aussi une équivoque signifiante sur le pince-nez qui explique pourquoi à plusieurs reprises, il s'était accusé d'être un lâche, ou de lâcheté. On ne comprend qu'au cours de ces notes pourquoi. " Le mot
Kneifer (pince-nez) provenant de kneifen pincer signifie aussi " personne
lâche " du coup il en avait perdu son pince-nez ! Freud
semble avoir tout reconstitué, au moins dans sa tête les " mots
de passe " de Ernst, et à partir de là il va pouvoir écrire
son texte des cinq psychanalyses consacré à la névrose obsessionnelle.
C'est une sorte de condensé de tout le travail analytique qu'il a déjà
effectué. Une relecture des premières séances de ce journal serait grandement éclairée par ces jeux signifiants que Freud indique juste dans ses dernières notes et notamment ce qui concerne sa " lâcheté " mise en concordance de façon inattendue, voire complètement loufoque, avec son pince-nez. On peut quand
même faire ce reproche à Freud, celui d'avoir fait l'impasse de l'analyse
de ce fabuleux fantasme au hareng, d'autant plus fabuleux qu'il avait été
provoqué par Freud lui-même, quand il lui avait fait apporter une
assiette de harengs, alors qu'il était affamé, mais il avait aussi
fait ce commentaire pour le moins surprenant de la part d'un analyste, regrettant
que de nos jours, enfin ceux de Freud (1907), les femmes ne prennent plus soin
de leur corps et négligent d'enlever leurs poils disgracieux, sous entendu,
leurs poils pubiens ! Manifestement
ils n'ont pas tellement envie d'y pénétrer, ni Freud, ni Ernst :
C'est Zone interdite. |