Suite de la lecture
de cette dixième séance (du lundi 14 octobre)
La prédiction
du père : " cet enfant sera ou un génie ou un grand
criminel ! "
Liliane Fainsilber
Après avoir évoqué les raisons de son oubli concernant
les trois souvenirs d'Ernst concernant la mort d'Helga, il me semble
que Freud énumère le contenu de cette séance, ce
que Ernst lui a raconté. Cependant, comme maintenant Freud ne
reconstitue pas exactement pas le déroulement de cette séance,
on ne sait si c'est à propos de la mort d' Helga que le contenu
de cette séance est à déchiffrer. En faveur de
cette hypothèse ce que Freud en dit " Il a vraiment cru
que si on se masturbe, on en meurt ".
Il l'introduit ainsi : " Voici qui lui était venu à
l'esprit " suivi de deux points.
1 - Tout d'abord il décrit comme une sorte de représentation
extrêmement vive, proche de ce qu'on pourrait rapprocher d'une
hallucination en raison de l'intensité de cette représentation
: " Son membre tranché l'a tourmenté à un
point extraordinaire, et cela, alors qu'il était en plein milieu
de ses études. "
Cela mérite d'être souligné, parce qu'il me semble,
mais je suis mal placée, en tant que femme, pour parler des angoisses
de castration des hommes, mais il me semble que ces angoisses sont plutôt
déplacées, je ne sais, sur les dents, sur la fortune,
sur la peur de ne pas y arriver dans les domaines les plus variés,
tandis que là, c'est la représentation du membre tranché
qui insiste, provoquant son angoisse.
2 - Deuxième série d'associations, celle concernant le
lien de la jouissance sexuelle au désir de la mort du père,
mais là, ce qu'il y a de nouveau c'est qu'il ne parle pas simplement
du désir de sa mort, mais purement et simplement de son assassinat.
On trouve rêvé, mis en scène, dans une dramaturgie
singulière, le meurtre du père de " sa préhistoire
personnelle ".
En effet après deux rapports sexuels réussis, il s'est
écrié " Pour cela on serait capable de faire n'importe
quoi - par exemple assassiner son père ! ". là pour
le coup, pour une fois, il se sert de la mort réelle de son père,
pour se disculper, pour alléger sa culpabilité. Son père
ne peut plus être assassiné, puisqu'il est déjà
mort. C'est amusant, parce que quand il était en proie à
son obsession du supplice des rats, cette mort du père n'était
nullement un obstacle pour qu'il puisse lui aussi le subir dans l'au-delà.
3 - Un souvenir, raconté par son père lui-même,
dont il ne se souvient absolument pas, celui qui a motivé son
obsession décrite dans les premières séances, son
obsession d'être un grand criminel. Donc on trouve-là son
point d'origine dans la parole du père.
Alors affirme que son père n'était pas violent et ne l'avait
jamais battu, ses associations évoquent souvent cette violence
du père et sa peur d'être battu par lui.
Il y a donc le récit de cet événement de son enfance
: battu par son père, il avait injurié avec l'aide de
tout le vocabulaire qu'il avait à sa disposition, à savoir
" Lampe, assiette, serviette ! "
" Cela prouve, reconnaît-il, prouve que sa fureur et son
désir de vengeance remonte à un lointain passé
".
Il a donc pris en compte, pour Ernst du retour du refoulé. C'était
donc vrai ce que Freud lui avait dit, qu'enfant, il avait déjà
souhaité la mort de son père. Il lui a donc fallu plusieurs
jours pour faire sienne, cette construction de Freud, concernant ses
désirs de mort à l'égard de son père.
A propos de cette " bordée d'injures " qu'il est obligé
d'inventer, voici ce qu'en dit Lacan dans son texte des Ecrits, "
La métaphore du sujet ", à propos de la métaphore,
métaphore à laquelle il donne la portée
d'une
injure ! Ceci mériterait quand même d'être approfondi,
par un biais ou par un autre, car cela irait loin si nous poussions
cette question de la métaphore injurieuse, ou de l'injure métaphorique
jusqu'à ce qu'il en est de la métaphore paternelle, celle
qui est là pour symboliser ce qu'il en est du désir de
la mère, de lui donner son signifié, sous la forme de
ce phallus, phallus voilé, mystérieux, énigmatique.
Donc je cite Lacan :
" A être "réveillée" en sa fraîcheur,
cette métaphore comme tout autre, s'avère ce qu'elle est
chez les surréalistes.
La métaphore radicale est donnée dans l'accès de
rage rapporté par Freud de l'enfant, encore inerme en grossièreté,
que fut son Homme-aux-rats avant de s'achever en névrosé
obsessionnel, lequel, d'être contré par son père
l'interpelle : "Du Lampe, du Handtuch, du Teller,
usw."
(Toi lampe, toi serviette, toi assiette..., et quoi encore). En quoi
le père hésite à authentifier le crime ou le génie.
En quoi nous-mêmes entendons qu'on ne perde pas la dimension d'injure
où s'origine la métaphore. Injure plus grave qu'on ne
l'imagine à la réduire à l'invective de la guerre.
Car c'est d'elle que procède l'injustice gratuitement faite à
tout sujet d'un attribut par quoi n'importe quel autre sujet est suscité
à l'entamer. "Le chat fait oua-oua, le chien fait miaou-miaou."
Voilà comment l'enfant épelle les pouvoirs du discours
et inaugure la pensée ".
4 - En fait, sa jalousie et ses désirs de mort et de vengeance
s'étendent à toutes ses relations d'objet, son frère
mais aussi bien sa Dame, comme le prouve aussi bien la petite anecdote
concernant son frère, où il s'était battu avec
lui et l'avait terrassé. C'est curieux, parce qu'à ce
propos, on a l'impression que ce qui l'apaise, n'est qu'un simulacre
de lutte, puisqu'il invite son frère à un corps à
corps, ce terme d'invitation implique en effet qu'il ne le prend pas
en traître, comme si cela impliquait déjà un pacte
et donc une sorte de travail de symbolisation.
Les désirs de vengeance envers sa dame, sont eux aussi très
ambivalents et comme ils sont mis en scène avec l'aide de fantasmes
de sauvetages, méritent attention. Nous l'avons déjà
vu à propos de Dora, ces fantasmes de sauvetage, expriment à
la fois, quand il s'agit du désir de sauver une femme, il s'agit
de lui donner un enfant, mais aussi, dans ce cas là, étant
donné son ambivalence, la sauver, c'est aussi lui laisser la
vie sauve, donc l'épargner, ce qui veut donc dire, qu'il aimerait
bien avoir sa peau.
Quand Freud parle de vengeance à la Monte-Christo, on devine
ce dont il s'agit, mais je ne sais à quelles aventures du roman
d'Alexandre Dumas il fait allusion. Sans doute s'est-il montré
magnanime, au lieu de se venger, mais je n'en sais pas plus.
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