Séance
1 (suite) Ernst avait " l'idée maladive que ses parents
connaissaient toutes ses pensées " Liliane
Fainsilber
Dans la dernière partie de cette première séance, il
y a une affirmation de Ernst qui mérite de nous arrêter : "
Dès l'âge de six ans j'ai souffert d'érections et je sais
qu'un jour je suis allée trouver ma mère pour m'en plaindre. Je
sais que pour cela j'ai eu à surmonter des scrupules, car je soupçonnais
qu'elles avaient des rapports avec mes représentations et ma curiosité,
et pendant quelques temps j'ai eu l'idée maladive que mes parents connaissaient
mes pensées, ce que je m'expliquais en supposant que je les prononçaient
à haute voix, mais sans les entendre moi-même. Je vois là
le début de ma maladie. Il y a une ambiguïté dans
cette phrase, je pense que c'est tout l'ensemble des troubles qu'il décrit
les représentations liées à ses érections et le fait
qu'il pensait que ses parents connaissaient toutes ses pensées qui constitue
le début de sa maladie. Mais quand même cela fait un drôle
d'effet de voir ces deux phrases conjointes de telle sorte que le début
de sa maladie est liée au fait que ses parents savaient ce qu'il pensait.
Cela rejoint bien ce que racontait Lacan, je crois que c'est quand il
construit le graphe du désir, sur le fait qu'il n'y a rien d'étonnant
à ce que l'enfant pense que ses parents savent ce qu'il pense puisque c'est
pas la bouche de l'Autre puis par les mots de l'Autre, de l'Autre maternel que
l'enfant exprime ses besoins, formule ses demandes. Cela rejoint aussi ce
qu'il énonçait souvent : " L'inconscient c'est de discours
de l'Autre ". Mais quand même il y a là quelque chose
de plus, comme si nous étions là dans une zone de transition où
les personnages parentaux deviennent des instances psychiques introjectées
sous la forme du Surmoi. Et s'il indique que ses érections et
ses représentations - celles de son intense désir de voir des femmes
nues qui était lié au fait que son père risquait de mourir,
étaient associés au fait que ses parents connaissaient ses pensées,
il me semble que c'est le fait que, tout comme le surmoi, ils pourraient lui adresser
des reproches. Ce qui éclaire peut-être ce rapprochement
c'est ce que dit Freud du déploiement en plusieurs temps de la structure
d'une névrose obsessionnelle. Cette description se trouve dans ce fameux
manuscrit K - Naissance de la psychanalyse, p. 132 -133 Freud va jusqu'à
décrire une sorte de " délire d'observation " délire
qui appartient pourtant bien à la névrose obsessionnelle. -
Il existe un événement sexuel primaire passif, qui correspond au
soubassement hystérique de la névrose obsessionnelle. - Un événement
sexuel actif qui lui a apporté du plaisir : pour l'Homme aux rats, cet
événement est ce fantasme avec Melle Robert. - Ces deux événements
sont refoulés et ce qu'il reste comme trace de ces événements
c'est une scrupulosité exagérée. Et c'est là
que ce que raconte Ernst, à propos de ce sentiment que ses parents pouvaient
savoir ses pensées, trouve son explication " Le sentiment
de culpabilité peut, au moyen de différents processus psychiques
se transformer en d'autres affects qui ensuite surgissent avec plus de netteté
que lui-même dans le conscient. Ainsi il se mue en angoisse (devant les
conséquences de l'acte auquel il se rapporte) en hypochondrie (par peur
des effets somatiques), en délire de persécution (par peur des conséquences
sociales) en honte (par crainte que les autres ne soient au courant de l'acte
coupable)
" Quelques lignes plus loin, il reprend cette question
des délires d'observation - qui sont donc proches de ce qu'éprouve
le petit Ernst qui a l'impression qu'il n'a aucune intimité puisque ses
parents savent tout ce qu'il pense. C'est toujours lié au sentiment
de culpabilité, c'est lui qui produit ces effets. " Dans
certains cas, le contenu mnémonique n'est pas parvenu jusqu'au conscient
par substitution mais le sentiment de culpabilité lui, s'y est introduit
grâce à une transformation. On a alors l'impression qu'un déplacement
s'est effectué au long d'un enchaînement de déductions. Je
me reproche certains faits, je crains que les gens ne sachent ce que j'ai fait
- et par conséquent j'en rougis devant autrui. Une fois que le premier
anneau de cette chaîne s'est trouvé refoulé, l'obsession se
jette sur le second, ou le troisième et il en résulte deux formes
de délire d'observation appartenant pourtant à la névrose
obsessionnelle. " Ce forme de délire d'observation, celle
où on a peur que les gens savent ce qu'on a fait correspond à peu
près à celle de Ernst, seulement à peu près, parce
que, pour lui, il ne s'agit pas d'actions mais de pensées, il craint que
ses parents sachent qu'il désire voir des femmes nues et que par voie de
conséquence son père doive mourir. Il faut remarquer
qu'on décrit plus souvent des délires dans le cadre de l'hystérie
plus que dans le cadre d'une névrose obsessionnelle. En tout cas, je ne
l'avais jamais repéré comme tel jusqu'à ce jour. A propos
de ces délires dans l'hystérie on peut évoquer par exemple
le petit délire de persécution que Dora développa quand sa
" construction hystérique " s'était tout d'un coup écroulé,
après la scène au bord du lac, quand Monsieur K. lui avait définitivement
avoué que sa femme n'était rien pour lui. Donc maintenant
chacun peut faire son petit délire, soit en tant qu'hystérique,
soit en tant qu'obsessionnel et ce sans être pour autant psychotique.
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