Le déroulement de la séance ou son contenu

Liliane Fainsilber

 

1 - non il ne peut pas croire qu'il a jamais eu le désir de la mort de son père mais quand même, en contradiction avec cette affirmation, il évoque le désir de mort d'une femme éprouvée envers sa sœur - alors qu'elle était mourante - dans le but de pouvoir épouser son mari. Dans ce roman, elle s'était tellement sentie coupable, qu'elle se suicide.
Ernst comprend tout à fait cela. " Il est sûr qu'il ne mérite rien d'autre ".
S'il est si sûr de cela, c'est bien parce que lui aussi se sent coupable de ce même désir, mais cette fois-ci envers son père. On découvre donc également le lien de ce désir de suicide au désir de la mort de l'autre.

2 - Intervention de Freud sur le refus de guérir. Il me semble qu'il y a un grand saut, un hiatus, entre ce que lui dit Ernst, sur sa culpabilité et ce que lui répond Freud, comme s'il en était lui déjà à la question de la fin de l'analyse, ce qu'il a appelé " la réaction thérapeutique négative ", alors qu'elle est à peine commencée. Ce hiatus apparent est peut-être lié à cette évocation du suicide, suicide de cette femme dans le roman, mais aussi éventualité du propre suicide d'Ernst, comme prix de sa faute.

Freud parle en effet de ce " refus de guérir " dans son texte " Analyse finie et infinie ". J'ai été relire cette partie. Voici ce qu'il en décrit : " Il n'est pas d'impression émanant des résistances lors du travail analytique qui soit plus puissante que celle donnée par une force sui se défend contre la guérison par tous les moyens et veut absolument s'accrocher à la maladie et à la souffrance. Une partie de cette force, nous l'avons sans doute à bon droit, identifiée comme conscience de culpabilité et besoin de punition, et localisée dans la relation du moi au surmoi. … D'autres contingents de cette même force doivent être à l'œuvre, on ne sait pas trop où, sous une forme liée ou libre. Si on considère dans on ensemble le tableau dans lequel se rassemblent les manifestations du masochisme immanent de tant de personnes, celle de la réaction thérapeutique négative et de la conscience de culpabilité des névrosés, on ne pourra plus resté attaché à la croyance que le cours des événements psychiques est exclusivement dominé par l'aspiration au plaisir. Ces phénomènes sont des indices indéniables de l'existence dans la vie de l'âme d'une puissance, que d'après ses buts, nous appelons pulsion d'agression ou de destruction, que nous dérivons de l'originaire pulsion de mort de la matière inanimée. "


Donc c'est intéressant de voir que déjà en 1907, bien longtemps avant son " Au-delà du principe de plaisir, il avait déjà repéré - et tout à fait cliniquement - quelque chose de ce masochisme primordial. Mais je vous propose également un détour apparent, autour de cette question de la " réaction thérapeutique négative ", à savoir la lecture que Lacan a faite de cet au-delà du principe de plaisir et justement par la mise en œuvre de la pulsion de mort sous la forme du suicide en le mettant en relation avec le fait que ceux qui éprouvent cette irrésistible pente au suicide ont été des enfants non désirés :

" Ce dont il s'agit dans ce que Freud nous découvre comme au-delà du principe de plaisir, c'est qu'il y a peut-être en effet ce terme dernier de l'aspiration au repos et à la mort éternelle, mais je vous ferais remarquer… c'est en tant que cela se fait reconnaître, que cela s'articule dans les dernières résistances auxquelles nous avons affaire chez ces sujets plus ou moins caractérisés par le fait d'avoir été des enfants non désirés, dans cette irrésistible pente au suicide, dans ce caractère tout à fait spécifique de la réaction thérapeutique négative, du fait que c'est à mesure même que mieux pour eux s'articule ce qui doit les faire approcher de leur histoire de sujet, que de plus en plus ils refusent d'entrer dans le jeu, ils veulent littéralement en sortir. Ils ne veulent pas de cette chaîne signifiante dans laquelle ils n'ont été admis par leur mère qu'à regret ".

Lacan parle de cet "Au-delà du principe de plaisir" de Freud, dans l'une des séances du séminaire des Formations de l'inconscient, séance du 12 février 1958.

J'ai fait ce détour apparent par cette approche de Lacan, parce que la question du désir de suicide, abordée dans cette séance de façon détournée, à propos du roman de Suderman, sera à nouveau évoquée pour Ernst quelques pages plus loin, dans ce journal.

3 - Ernst veut maintenant raconter une action criminelle dans laquelle il ne se reconnaît pas dont il se souvient il se souvient avec une entière certitude. D'après les tirets qui marquent le dialogue de Ernst et de Freud, il semble bien que la citation de Nietzsche soit évoquée par Ernst. Il ne s'en souvient pas tout à fait. Seule la dernière partie de la citation semble conservée.
" J'ai fait cela, dit ma mémoire, impossible dit mon orgueil, et il s'obstine. En fin de compte c'est ma mémoire qui cède ". Est-ce que cette citation de Nietzsche ne démontre pas les mécanismes mêmes du refoulement, quand la représentation inconciliable et rejetée du conscient et littéralement oubliée.
Mais là, ce que dit Ernst, c'est que justement cet événement ne s'est pas effacé, sa mémoire n'a pas cédée.
Or que lui répond Freud ? Cette phrase là : " Précisément parce que vous êtes un bourreau de vous-même, et que des reproches, vous tirez de la jouissance ".
La question qu'on peut quand même se poser c'est pourquoi alors, il ne se souvient de cette action criminelle et non pas de ses désirs de mort à l'égard de son père, si c'est de cela qu'il pourrait tirer jouissance ?
Est-ce lié au fait que c'était un acte et non pas une simple pensée, ou bien est-ce dû à un effet de déplacement du père au frère qui fait donc symptôme ?

Cette phrase de Freud est suffisamment importante pour que j'arrête là ma lecture. Elle est d'autant plus importante, qu'elle constitue une sorte de point de rencontre, de condensation entre ce que Freud nous dit de cette pulsion de mort à l'œuvre dans ces manifestations de jouissance et ce qu'il dira des composantes du complexe de castration masculin, dont l'une de ses composantes vient en quelque sorte rejoindre ce masochisme, avec au dernier terme, ce désir surprenant d'être aimé du père, comme une femme et d'en recevoir un enfant. C'est ce que Freud déploie, entre autres, dans son texte magistral " Dostoïevski et le parricide ".

 

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