Un exemple de "constructions en analyse"

(celle que Freud propose à Ernst concernant ses désirs de mort éprouvés à l'égard de son père)

 

Liliane Fainsilber

 


Je repars de la petite citation citée par Geneviève dans sa relecture de la septième séance. Elle a en effet relevée dans la petite note (p. 216) des Cinq psychanalyses comment " Freud s'explique sur la façon dont il a procédé durant cette séance :
" On ne cherche jamais dans de telles discussions à amener la conviction chez le malade. Ces discussions ont pour but d'introduire les complexes refoulés dans le conscient, de provoquer une lutte, dont ils sont l'objet, dans le domaine des processus psychiques conscients et de faciliter l'apparition hors de l'inconscient d'un matériel nouveau. La conviction, le malade ne l'acquiert qu'après avoir retravaillé lui-même le matériel. Tant que la conviction reste chancelante, il faut penser que le matériel n'est pas épuisé. "

Cela m'a fait penser à quelques séances durant mon analyse, pas très fréquentes, peut-être y en -t-il eu trois ou quatre, et encore je ne suis pas certaine du nombre, où au lieu de me laisser parler, Lacan parlait lui. Et je me souviens lui avoir dit, à la suite de l'une de ses séances : et bien je vous préviens, j'ai oublié, à la minute même, tout ce que vous venez de me dire ! Je n'en suis plus certaine mais il me semble qu'il m'avait répondu qu'il le savait. Donc il pensait que c'était utile même si je ne m'en souvenais plus, cela reviendrait en son temps, en mon temps.
Cette amnésie complète sur ce qu'il m'avait dit m'avait vraiment paru curieuse comme si ces paroles allaient rejoindre aussi sec, ce qui était déjà refoulé. Je pense que Lacan faisait ainsi quelque chose d'analogue à ce que faisait Freud : Il m'indiquait sans doute le chemin à suivre, un chemin que lui avait déjà repéré mais que j'avais besoin de découvrir par moi-même. Peut-être était-ce une façon de refuser son aide.


Mais surtout ce passage cité de Freud, cela m'a en effet fait penser à un autre texte de Freud qui a pour titre "constructions en analyse" (c'est dans le volume II de Résultats, idées, problèmes) car en les mettant ensemble, on s'aperçoit qu'en somme ce que Freud décrit déjà dans les cinq psychanalyses est une sorte de mise en pratique, une démonstration clinique de ces constructions dans l'analyse de l'Homme aux rats.

Freud appelle le minutieux travail de reconstitution d'un lointain passé auquel se livre l'analyste : "constructions en analyse". Il le décrit ainsi : "Quand l'analyste pense avoir retrouvé un événement important de son enfance il le propose alors à son analysant en ces termes: "jusqu'à votre énième année vous vous êtes considéré comme le possesseur unique de votre mère. A ce moment là un deuxième enfant est arrivé et avec lui une forte déception. Votre mère vous a quitté quelques temps et même après, elle ne s'est plus consacré à vous, exclusivement. Vos sentiments envers elle sont devenus ambivalents. Votre père a acquis depuis une nouvelle signification pour vous. ..." Est-ce que nous ne voyons pas apparaître là une élégante mise en perspective de toute la structure d'une névrose? Elle se dessine autour de cette rencontre décisive du désir de la mère, dans une confrontation avec un objet rival qui occupe cette place convoitée d'objet du désir de l'Autre.
Normalement le père, c'est sa fonction, est là pour débusquer l'enfant de cette place d'objet métonymique de la mère. De par l'interdit de l'inceste il ne pourra plus être l'unique possesseur mais surtout, si on peut dire, l'unique possédé de sa mère. Dans la névrose, ce désir d'être désiré est en partie maintenu. Il doit devenir interdit par tout ce qui se met en jeu dans l'analyse autour du désir du psychanalyste en tant que tel.
De ces constructions en analyse, Freud nous a laissé quelques exemples notamment avec l'histoire magistrale de l'Homme aux rats, mais aussi bien avec celle de l'Homme aux loups et de Dora.

"L'intention du travail analytique, écrit Freud, est d'amener le patient à lever les refoulements des débuts de son développement... pour les remplacer par des réactions qui correspondent à un état de maturité psychique".
L'analyste ne peut travailler pour cela que sur la matière psychique que lui fournit l'analysant, "des fragments de souvenirs contenus de façon déformée dans les rêves", des souvenirs écrans mais aussi "des idées incidentes qui émergent lorsqu'il se laisse aller à l'association libre" et enfin "des actions plus ou moins importantes du patient à l'intérieur ou à l'extérieur de la situation analytique qui mettent en scène avec l'aide du transfert les souvenirs oubliés et favorisent aussi le retour des affects appartenant au refoulé." Comment avec tous ces matériaux psychiques pouvons nous retrouver le chemin de ces souvenirs perdus ?
Freud utilise, pour décrire sa démarche une métaphore théâtrale: Le travail psychique consiste en deux pièces distinctes qui se jouent sur deux scènes séparées et concernent deux personnages dont chacun est chargé d'un rôle différent". Dans ce travail, l'analyste devient en quelque sorte le régisseur chargé de maintenir des liens entre les deux scènes, les deux pièces de théâtre qui s'y jouent et surtout entre les protagonistes du drame. Ainsi pour maintenir cette métaphore, lorsque l'analyste communique à son patient les constructions qu'il a échafaudées, il établit pour un court moment un lien entre les deux scénarios.
Il joue le plus souvent les trouble-fêtes sur la scène de son analysant y provoquant des quiproquos et des rebondissements de l'action.
Mais il est tout aussi fructueux que l'analysant vienne à son tour déranger le jeu de l'analyste dans sa propre mise en scène car le confort ne convient vraiment pas à ce métier de baladin de l'inconscient.

Si vous voulez en savoir un peu plus sur ces constructions en analyse, vous pouvez lire un autre texte " Au cœur de la névrose, les scènes primitives " http://perso.orange.fr/liliane.fainsilber/pages/Lettres/lettre_20.htm

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