Retour sur notre discussion de cette sixième séance

Liliane Fainsilber

 

 

Bon j'ai relu dans la continuité les six premières séances de ce journal pour reprendre à la suite de nos échanges ce que j'avais avancé dans ma première lecture. Je pense en effet que j'ai été trop vite dans mon appréciation du fait qu'il y aurait déjà progrès dans la découverte du sens de ses obsessions entre la première et la sixième séance. Ernst raconte sa vie et ses symptômes mais n'a pas encore commencé à essayer de les déchiffrer. J'ai été un peu trop optimiste en pensant qu'il avait déjà bien avancé.
Par contre cela permet incontestablement à Freud de bien se repérer dans la structuration de sa névrose obsessionnelle et nous avec lui mais tout ce qu'il en raconte à Ernst ne lui fait manifestement ni chaud, ni froid, il n'en croit d'ailleurs pas un mot.

Donc s'il y a un progrès entre les formulations de la première séance et la sixième concernant les désirs de mort à l'égard de son père, ce progrès n'est perçu que par Freud, pour Ernst, cela reste encore lettre morte.
J'ai repris ces différentes formulations pour pouvoir en juger :

Dans la première séance :
"Il y avait des personnes, des jeunes filles, qui me plaisaient beaucoup et qu'avec une extrême impatience je désirais voir nues... " Mais à cette idée il éprouvait une intense frayeur " comme s'il devait arriver quelque chose... Par exemple que mon père ne vienne à mourir".

Dans la sixiéme séance, il y a reprise de cette même association entre son désir pour une petite fille ou une femme et la mort de son père, mais les liens en sont plus atténués, moins brutaux :

c'est l'espoir que si son père mourrait, une petite fille de ses amies lui témoignerait ainsi de l'affection.

Six mois avant la mort de son père, une autre idée lui était venue, si son père mourrait il deviendrait riche et pourrait ainsi épouser sa dame.

Une troisième fois, l'idée lui revint, la veille de la mort de son père - j'ai fait un lapsus en l'écrivant j'avais écrit la veille de l'amour de son père.
En pensant à la mort de son père qu'il aime, il pense qu' une autre personne lui est encore plus chère. Est-ce à dire qu'il lui faudrait choisir entre les deux, entre son père ou sa dame? ou bien que, n'étant que suggérée, si c'est sa dame qu'il aime, hélas son père devra mourir!

En repérant ces formulations entre la première et la sixiéme séance, je m'aperçois que l'ordre des deux propositions de l'implication logique c'est radicalement inversée:

Dans la première séance
nous avons : si j'ai le désir de voir une femme nue, alors mon père devra mourir

Tandis que dans la sixiéme séance, c'est l'inverse

si mon père mourait ... alors elle me manifesterait son affection
Si mon père mourrait alors je pourrais l'épouser


Ca ne marche pas, par contre, pour la troisième formule à moins qu'elle ne soit que la forme élidée de la seconde suggérant de plus qu'il faudrait qu'il choisisse ou sa dame au prix de la mort de son père, ou alors l'amour de son père, mais sans sa Dame.


Je suis allé relire ce que Freud racontait des mécanismes de formation des symptômes obsessionnels parce qu'il me semble que ça montre bien pourquoi tout est là présent, inscrit en clair, au niveau de la conscience, concernant son désir de la mort du père lié à son désir pour une femme et que pourtant Ernst n'y a pas accès, ne peut pas le reconnaître en tant que tel. Il y a donc une sorte de double protection, il y a d'une part cette séparation de l'affect de la représentaion refoulée, inconciliable, affect qui va se coller à une autre représentaion qui elle peut être acceptée par le conscient parce qu'en apparence inoffensive, mais comme le rappelait Geneviève, l'autre jour, il y a aussi ce symptôme primaire de défense, par lequel le sujet érige une barrière de moralité, de scrupulosité, qui lui permet de rejeter au nom de cette hypermoralité, toutes ces mauvaises pensées.

C'est dans "Les remarques sur les neuropsychoses de défense" p. 6 quand il aborde la structure de la N.O. qu'il parle de cettte séparation entre l'affect et la représentation inconsciliable :
"Lorsqu'il n'existe pas, chez une personne prédisposée, cette aptitude à la conversion (donc celle de l'hystérie ) et si neanmoins, dans un but de défense contre une représentation inconciliable ( celle du désir de la mort de son père ), la séparation de la représentation et de l'affect est mise en oeuvre, alors cet affect doit nécessairement demeurer dans le domaine psychique. La représentation désormais affaiblie demeure dans la conscience à part de toutes les associations, mais son affect devenu libre s'attache à d'autres représentations en elles-mêmes non inconciliables, qui par cette fausse connection se transforment en représentations obsédantes."

Il me semble que cette idée d'avoir souhaité et de souhaiter encore la mort de son père existe mais sous forme de cette représentation affaiblie parce que séparée de son affect. Par contre ce qui constitue sa représentations obsédante, c'est entre autres, la crainte qu'il ne lui arrive quelque chose.

Ce qui prouve que Freud ne se fait pas beaucoup d'illusion concernant le crédit que Ernst lui accorde sur la réalité de son souhait concernant la mort de son père, c'est qu'il écrit à la fin de cette séance :

"Mais c'est le moment d'abandonner la théorie et de retourner à l'observation de soi et aux souvenirs. "
C'est maintenant à Ernst de jouer, de parler et suivre le fil de ses associations mais aussi d'éprouver, dans le transfert, la réalité de son amour et de sa haine pour son père.

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