La salle daudience du sujet névrosé Liliane Fainsilber
(A propos d'une remarque de Freud qui mavait en partie échappé au cours de mes précédentes lectures)
Nous savons que Ernst était de formation juridique, il avait léquivalence dune licence en droit. Malgré de nombreuses inhibitions il avait réussi à terminer ses études et à trouver du travail. Donc Freud signale, à ce propos, que « dans son activité professionnelle, ses obsessions napparaissaient que lorsquil sagissait de droit pénal ». (Il y a un petit topo à cette adresse http://www.chez.com/jurisfac/prive/penal/penal.htm) Autrement dit lorsquil sagissait de déclarer ou non quelquun coupable et de lui attribuer une peine à la mesure de sa faute, des circonstances atténuantes ou aggravantes, cest là quil recommençait à se poser des questions sur ses propres désirs criminels.
Or cette remarque de Freud donne alors de limportance aussi à ce que lui raconte Ernst au cours de la seconde séance, le fait que lorsquil était tourmenté par ses obsessions il allait sans cesse poser la question de savoir sil était ou non un grand criminel à son ami Guthmann. Il devait lui être particulièrement difficile de soccuper de la culpabilité ou de linnocence des autres lorsquon vit dans la crainte dêtre soi-même un grand coupable.
Cet été, jai lu un livre que jai beaucoup aimé qui sappelle « le criminel et ses juges » et qui a donc attiré mon attention sur ce passage du texte de Freud. Ce livre écrit par des psychanalystes de la génération de Freud aborde la question du crime et de sa punition par la justice dans une approche analytique tout à fait neuve, en fonction des désirs de meurtre inconscients de tout un chacun, y compris bien sûr des juges.
Lacan a pris appui sur cet ouvrage, entre autres, pour écrire et déployer surtout son argumentation dans son texte des Ecrits « Fonctions de la psychanalyse en criminologie ». Sous forme de boutade, nous pourrions reprendre ce titre, à propos de lhomme aux rats, un juriste, « fonctions de la névrose obsessionnelle en criminologie ». Je vous cite un passage de ce livre qui a été écrit en 1928, par Alexander et Staub. Cest paru à NRF. Je lai trouvé sur Internet doccasion. Le titre du chapitre est en lui-même déjà très éclairant : « La théorie psychanalytique de la formation du symptôme névrosique comme fondement de la psychologie criminelle ». Autrement dit, ils partent tous les deux de la métapsychologie de la névrose, pour éclairer analytiquement ce quil en est des actes criminels.
« Un examen psychanalytique du criminel et du crime qui puise son matériel scientifique tout entier surtout dans la connaissance psychanalytique des névrosés, ne peut pas éviter, avant dentrer dans ces problèmes spéciaux, de donner au moins dans un court exposé, les résultats de la théorie analytique des névroses La névrose est donc lépanouissement, dans le domaine intrapsychique, des tendances asociales de lhomme cultivé. Elle est dans son contenu psychologique et dans sa structure, une fidèle répétition de la justice pénale de lhistoire primitive » -(Il sagit, on peut le croire dune justice expéditive).- « La faute et le châtiment représentent le contenu de toute psychonévrose, sauf que tout cela ne se déroule pas dans le monde réel des actions, mais dans le monde imaginaire des symptômes.Nous ne retrouvons pas seulement dans la psychologie des névroses Le principe du talion ; nous pouvons encore reconstruire par linconscient le contenu de problèmes sociaux des temps primitifs. Le crime originel sous la forme de linceste et du parricide et même la forme de la peine primordiale, la castration. Cest une impression étrange, au premier moment même surprenante, que celle du médecin biologiquement éduqué, qaund il fait pour la première fois connaissance avec la théorie psychanalytique des névroses et subitement entend exprimer la nature de ces maladies dans une langue étrangère à lui, en tout cas inaccoutumée dans les sciences naturelles, une langue en partie littéraire, en partie juridique, et de concepts criminologiques [ ] Il entend parler de faute et dexpiation, de sacrifice et de pénitence, de corruptibilité, de la sévérité des instances psychiques, de besoin dêtre puni et daveu obsédant. Il a appris jsuqualors à à connaître le système des os et des muscles, la circulation du sang, la composition physico-chimique du corps humain et la psychanalyse le conduit subitement dans une salle daudience remplie de lesprit excessivement primitif des peuples primitifs ou de lenfant, et il apprend que cette salle daudience existe aussi dans la personnalité de lhomme, plongée dans linsconscient [ ] et ainsi se produit cette remarquable métamorphose : le médecin issu dun enseignement physico-chimique devient subitement, pour comprendre et soigner certaines maladies, un psychologue criminel et doit se plonger dans une étrange justice pénale barbaro-primitive, dont le meurtre, linceste, la castration, forme le thème principal. Ainsi le chemin de la théorie pasychanalytique des névroses jusquà la salle daudience nous paraît plus court que le chemin jusquà lanatomie et à la physiologie du cerveau et jusquà la chimie physique des phénomènes somatiques.
Ce passage qui fait du névrosé, de tout névrosé, un criminel, de sa névrose, « une salle daudience où il se défend de sa culpabilité, comme un beau diable, et du médecin devenu psychanalyste, un spécialiste de la criminalité, nous éloigne en tout cas beaucoup des espoirs injustifiés des neuro-sciences de reconquérir le champ de la psychanalyse.
Mais je trouve que cela nous donne un aperçu un peu vif de cette analyse de lHomme aux rats, qui se considère comme un grand criminel et fait tout ce quil peut pour organiser sa défense.
Je nai pas encore avancé beaucoup dans la lecture de ce livre. Les auteurs donnent quelques exemples de crimes et delits réellement perpétrés. Mais ce quil y a de passionnant dans ce livre cest le fait que leurs approches des criminels et de la criminalité, passe par la salle daudience intime de tout névrosé, celle quil met en scène dans ses symptômes. Je vous en dis plus si loccasion sen présente.
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