Cinquième séance

Liliane Fainsilber

Comme les séances sont journalières et que donc le travail se poursuit en continuité d’un jour à l’autre, il me semble qu’on peut raccorder les dernières phrases de la quatrième séance avec la première de la cinquième : Il est très intéressé mais se permet d’avoir des doutes « comme disait mon grand-père, quand il n’était pas décidé à écouter ce qu’on lui disait « Chante toujours, Canari ! »

Or que lui a dit Freud la veille ?

« Nous ne sommes pas habitués à un affect intense – donc sa crainte – sans contenu représentatif et, pour cela, faute d’un contenu, nous lui en substituons un autre qui convienne plus ou moins –plutôt mal que bien – à peu près comme le fait la police qui, quand elle ne réussit pas à attraper l’assassin, arrête donc quelqu’un d’autre à sa place ».

Donc Freud propose à Ernst, en toutes lettres, de retrouver le véritable assassin. C’est ce sur quoi Ernst émet des doutes. Au fond, il n’a pas très envie de retrouver le vrai coupable, cette représentation refoulée liée à son affect de crainte doublée de désir.

C’est donc ce qui justifie l’argumentation de Freud, son apercu métapsychologique, il l’incite à partir à la recherche de son assassin, le vrai celui-là.

Dans le texte officiel des Cinq psychanalyses, il se justifie ainsi :

« L’occasion qui déclencha ses remords ( à propos de la mort de son père ) fut la mort d’une tante par alliance et sa visite dans la maison mortuaire. A partir de ce moment là il rajouta à sa construction imaginaire une suite dans l’au-delà… Il me raconte que seules alors l’avaient soutenu les consolations de son ami, qui réfutait toujours ses remords, en les jugeant excessif et exagérés ».

C’est juste ce que faisait remarquer Geneviève, il y a quelques jours, inutile de compter sur Freud pour ce genre de « consolations ». Il n’est pas là pour ça. Freud lui substitue aussitôt quelque chose qui n’est pas consolation, mais invitation à découvrir de quoi il en retourne, en somme de retrouver le « véritable assassin » : « Je profitais de cette occasion, écrit Freud, pour lui donner une première notion de la thérapeutique analytique ».

A propos de cette recherche du véritable assassin, cela m’a fait penser à ce qu’écrivait Freud, dans Malaise dans la civilisation, pour indiquer à quel point nous avons des problèmes avec la civilisation, que dans notre inconscient, nous ne sommes tous une bande d’assassins. Donc cet assassin, Ernst ne devrait pas avoir à la chercher bien loin, mais cela peut prendre du temps et il me semble que Freud lui presse quand même un peu trop le pas.

Autre point qui m’a semblé intéressant c’est cette question que soulève Ernst, celle de la loi morale.

Il oppose les lois morales extérieures et les lois morales personnelles les plus intimes.

Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Antigone qui oppose les lois de la cité aux lois non écrites, ou encore aux lois des Dieux.

Mais je n’ai pas réussi, par rapport à cette héroïne tragique, à situer, à rapprocher ou au contraire à opposer la position de Ernst et d’Antigone. Si quelqu’un a une idée là-dessus je serais contente qu’il m’en fasse part.

Freud fait en effet référence aux héros qui s’opposent aux lois de la cité. Ce n’est en apparence pas le cas de Ernst, puisque lui-ce qui le tracasse ce sont ses lois morales personnelles. Ce sont celles-là qu’il a peur d’enfreindre.

Je pense que ce sont celles de son surmoi, un surmoi hérité du père et que Lacan appelle « le saboteur interne », c’est votre ennemi intime celui qui vous veut du mal et que vous avez accueilli en vous par sentiment de culpabilité.

Mais quand même, est-ce qu’entre Antigone et Ernst, il n’y aurait pas quelque chose qui leur serait commun ? Je dirais que ce que tous les deux assument, c’est la faute du père. Pour Ernst, nous le verrons dans la suite du texte, c’est une histoire de dette de jeu, et nous la voyons déjà se dessiner avec tout ce cinéma qu’il fait pour rendre l’argent au capitaine David alors que dans les faits il ne lui doit rien. Pour Antigone, la faute de son père, c’est d’avoir, sans le savoir, été parricide, et d’avoir obtenu par récompense toute spéciale, le droit de coucher avec sa mère.

Il y a encore deux points qui méritent d’être davantage travaillé, celui de ce que Ernst appelle « désagrégation de sa personnalité » auquel Freud apporte une atténuation, ce n’est pas une désagrégation, c’est « un clivage » où une série de deux termes opposés co-existent ensemble.

Le dernier point, c’est ce que raconte Ernst de son désir d’avoir été pour de bon criminel plutôt que de vivre dans l’idée et la crainte de l’avoir été. Et cela nous ramène à la question qu’avait posée Ingrid, sur l’envie de commettre pour de bon un crime, au lieu de se sentir coupable de le désirer. Cela rejoint le désir de punition et ce que Freud appelait masochisme moral.

Mais ces deux points méritent encore discussion, le dernier nous fera entrer toutes voiles dehors dans la question que vous étiez quelques-uns à souhaiter aborder, cette question du complexe de castration (masculin).