Notes du samedi 28 décembre
(celle où Freud lui fait apporter une assiette de harengs)

Liliane Fainsilber

 

Freud y décrit une série de compulsions. C'est intéressant de noter en quoi, elles sont soit une forme de ses obsessions qui ont pour particularité de pousser aux actes : la compulsion de se trancher la gorge, ou sa compulsion à maigrir, à cause de Richard, son rival auprès de Giséla. Cette compulsion d'explique par le fait que Richard, Dick, veut dire " gros ".
Les obsessions sont des idées qui lui viennent malgré lui, telle par exemple l'idée que son père et sa dame puissent subir le supplice des rats et éventuellement son médecin de famille, celui qui a assisté à la mort de son père. Les compulsions sont des obsessions qui le poussent à agir.
Freud dans ces notes en cite une série.
1 - " Il dit que pendant son service militaire - l'année de la mort de son père - ses premières idées obsédantes se présentaient sous des formes purement hypothétiques " si tu devais maintenant commettre quelque insubordination… ". Hélas on n'en sait pas plus quant à la suite de la phrase, est-elle déjà liée au supplice des rats ? Freud note, à propos de cette obsession qu'il " se figurait des situations comme pour mesurer son amour pour son père ". Comme exemple il donne celui-ci : " si marchant dans les rangs, voyant son père s'écrouler en face de lui, les quitterait-il en courant pour le soutenir ? ".
Comme s'il y avait conflit entre deux devoirs, celui du respect de l'uniforme et de la discipline militaire et le devoir de porter secours à son père.
Mais c'est aussi une identification à son père : " souvenir de son père empochant son gain et courant après le peloton ", donc en référence à ses dettes de jeu.

2 - compulsion au bavardage, par identification à sa mère.

3 - compulsion à compter. Par exemple souvenir d'avoir compté jusqu'à quarante entre le coup de tonnerre et l'éclair.

4 - Compulsion à comprendre.
"Il se forçait à comprendre exactement toutes les syllabes qu'on prononçait devant lui, comme si un grand trésor risquait de lui échapper.
Freud constate que tout reste en suspens quant au sens à donner à ces compulsions puisqu'il l'avoue " Tout cela exige d'être mis en ordre par rapport à la cousine ".

Page 217, Freud reprend toutes ces compulsions en référence avec ces désirs de suicide qui remontent à l'enfance.
" Cependant il se jura que, à cause de sa mère, il ne se tuerait jamais, quoiqu'il pût lui arriver, même un amour malheureux ".

On retrouve même la question de " l'apoplexie " dont était mort l'un des pensionnaires dont il avait souhaité la mort, pour pouvoir obtenir la chambre qu'il occupait.
" Sa sœur Erika lui avait dit, un jour qu'il rentrait de l'une de ses courses ( pour maigrir) : " Tu vas voir Ersnt, l'apoplexie ne manquera pas de te frapper ! ". Etait-ce souhait de sa part, à elle aussi ?

Il me semble que le point commun de toutes ces compulsions peut-être d'être lié à sa culpabilité éprouvée pour les désirs de mort éprouvés à l'égard du père, de ce supérieur qui battait ses soldats du plat de son sabre -puisque il éprouvait le désir de le battre en duel - de sa dame et de tous ses rivaux, Dick surtout.
Elles prenaient donc toutes la forme d'un désir de suicide, par retournement de ses désirs de mort sur lui-même.

5 - Compulsion de la pierre mise sur le chemin de sa dame. Là encore double mouvement : hostilité et protection. Il trouve une pierre sur le chemin que doit emprunter sa dame. Il a quelque peur mais aussi quelque secret espoir qu'elle puisse provoquer un accident de " cabriolet ", il la retire donc. Mais vingt minutes plus tard il vient la remettre.

Par rapport au désir de suicide d'Ernst se pose quand même la question du contre-transfert de Freud à ce propos. Car on se demande quelle idée a bien pu lui venir de lui donner à lire " la joie de vivre " d'Emile Zola, car dans le genre roman noir on ne peut faire mieux. Le traducteur en donne une version, sur Internet, j'en ai trouvé une autre plus éclairante me semble-t-il. (En note jointe).
Ce qui m'avait frappé à la lecture de ce livre c'est la sorte de masochisme béat de cette Pauline et c'est cela que Zola appelle Joie de vivre.

Mais sans doute le traducteur du journal a -t-il raison de souligner la dernière phrase de ce roman, le mot de la fin " Faut-il être bête pour se tuer ". Est-ce que c'est ce que Freud voulait dire à Ernst. Cela m'étonne un peu, car il lui aurait sans doute dit qu'il fallait être névrosé.
Ceci dit la névrose obsessionnelle de Ernst devait le faire penser très fort à la névrose obsessionnelle d'Emile Zola et de ses rapports à sa mère. On sait par Théodore Reik que Freud lui avait proposé de l'étudier et qu'il connaissait beaucoup d'éléments de son histoire, y compris le dédoublement de sa vie amoureuse, comme Ernst. Zola avait comme on disait à l'époque " une double vie ".


"La Joie de Vivre est un roman d'Émile Zola publié en 1884, le douzième volume de la série Les Rougon-Macquart.
Ce roman oppose le personnage de Pauline, qui aime la vie même si celle-ci ne lui apporte guère de satisfactions, à celui de Lazare, être velléitaire et indécis, rongé par la peur de la mort. Il est possible que Zola ait mis une bonne partie de lui-même dans ces deux personnages : très affecté par la mort de sa mère et par celle de Gustave Flaubert, il traverse une crise de doute au moment où il écrit le roman, et les obsessions de Lazare sont un peu les siennes (la vie est inutile, puisque la mort emporte tout) ; mais la confiance reprend le dessus en lui, l'énergie qu'il prête à Pauline étant peut-être une façon d'exorciser ses propres peurs.
L'histoire [modifier]
L'action se situe en Normandie, dans une petite ville portuaire appelée Bonneville. L'héroïne en est Pauline Quenu, fille de Lisa Macquart et du charcutier Quenu (voir Le Ventre de Paris), orpheline à l'âge de dix ans et confiée à des cousins appelés les Chanteau. Héritière d'une fortune assez considérable, Pauline se laisse peu à peu dépouiller d'une grande partie de ses biens par madame Chanteau et son fils Lazare, sans pour autant perdre son amour pour eux, conservant jusqu'au bout la joie de vivre qui a donné son titre à l'ouvrage.
Tout devrait pourtant la conduire au pessimisme : elle aide les pauvres, qui la remercient en la volant ; elle déborde d'affection pour sa tutrice, qui lui dérobe pourtant une partie de son héritage et se met à la haïr ; amoureuse de Lazare, le fils des Chanteau, elle l'aide à mettre sur pied des projets chimériques, mais voyant que celui-ci lui préfère Louise, son amie et rivale, elle brise ses fiançailles avec Lazare et le pousse à épouser Louise. Elle garde pourtant confiance au milieu des épreuves et accepte même d'élever Paul Chanteau, fils de Louise et de Lazare, pour qui elle dépensera ses derniers sous ". (wikipédia)

 

Retour notes du 28 décembre

Retour de notre lecture séances par séances du Journal de l'Homme aux rats.