Le faux-pas de Dora et celui de Freud
Liliane Fainsilber
Dentrée de jeu, avant de nous livrer le texte de ce second rêve, Freud pose les trois acquis qui ont permis son déchiffrage : 1 - Des données sur " létat
dâme de la patiente ". Faisant partie de cet état dâme de la patiente, peut-être faut-il retenir également ce que Freud découvrira, dans les marges, et sans doute dans un effet daprès-coup de cette analyse, " le puissant amour gynécophile de Dora pour Madame K. Mais Freud ne l'a pas encore découvert au cours de l'analyse. il ne le découvre que dans l'après-coup, en se posant des questions sur les raisons de son départ précipité. 2 - Disparition de lamnésie concernant justement les événements autour de la scène au bord du lac. 3 - Découverte de lorigine dun autre de ses symptômes : depuis une pseudo- crise dappendicite, Dora traînait la jambe.
Le texte de ce second rêve est plus long et plus compliqué que le premier. Il semble que par rapport à ce contenu manifeste, Freud se sente un peu démuni. Cest tout au moins limpression quil donne, pourtant il met en exercice sa méthode de déchiffrage maintenant bien rodée. Tenir compte du contexte dans lequel a eu lieu ce rêve : Il sest produit quelques semaines après le premier et à un moment de son analyse où elle posait beaucoup de questions sur les liens quil y avait entre " ses actes et leurs motifs présumés ". Donc elle découvre lexistence des motivations inconscientes de ses actes. Freud en donne trois exemples : Pourquoi avait-elle gardé sans rien en dire cette dispute entre elle et Monsieur K. ? Pourquoi ensuite en avait-elle parlé à sa mère pour quelle en informe son père ? Pourquoi enfin - et là, cette question, cest Freud qui la rajoute, avait-elle refusé la déclaration damour de Monsieur K. alors quelle était, en tout cas, aux yeux de Freud, sincère. Nous aurons la réponse à cette question avec lévocation dune autre lettre, celle que la jeune gouvernante des K. avait envoyée à ses parents. Elle avait eu des relations sexuelles avec Monsieur K. et avait eu grand peur dêtre enceinte à la suite de ce rapport. A la suite de cela Monsieur K. lui avait battu froid. Dora le savait. La jeune fille sétait confiée à elle. Or cette aventure ancillaire avec la gouvernante avait eu lieu à peine deux ou trois jours avant la scène au bord du lac. (p. 79). Il aggrave, si on peut dire son cas, en donnant à Dora, les mêmes arguments quil avait donnés à la gouvernante, à savoir " vous savez bien que ma femme nest rien pour moi ". Donc tout cela est le contexte dans lequel est survenu ce rêve. Avant dentrer dans le texte même, soulignons ce quen dit Freud, quil lui a permis de découvrir lun des autres symptômes de Dora resté jusquà ce jour énigmatique : neuf mois après la scène au bord du lac, alors quelle séjournait chez sa tante, Dora fait une crise douloureuse abdominale puis, elle eut ses règles. Elle avait ainsi mis en scène un accouchement. Quel a été le fruit de cet enfantement : un nouveau symptôme, depuis Dora traînait un peu la jambe, plus précisément son pied droit, comme suite de son faux-pas. Quel pourrait être le symbolisme de ce "traîner le pied droit" ? Peut-être Claire, pourrait nous dire avec le terme allemand quels équivoques pourraient être trouvées. Cela me fait quand même penser à ce jeu de mots grivois mais involontaire de lune des analysantes de Freud : A un homme, pour plaire, il lui suffit davoir ces cinq membres droits. Et après tout on dit bien prendre son pied. Mais cette association didée concernant le pied qui traîne de Dora nengage que moi. En tout cas le fantasme daccouchement est indéniable et lui reste comme souvenir de cette crise : son pied droit qui quelquefois ne lui obéit pas. Comment sen étonner ! Mais ce que Freud décrit comme les aspirations à la maternité de Dora se retrouvent entremêlées tout au long des associations de ce rêve. Y compris à propos de sa contemplation de La Madone Sixtine au musée de Dresde. Ceci nest quune approche de ce second rêve. Il nous reste à en apprécier le mot à mot. Dans le contexte de ce rêve, cest également intéressant de se poser une question de technique analytique : Quaurait dû ou pu faire Freud pour éviter que Dora sen aille ? Où a-t-il fait une erreur ? Il y a quelques années je pensais que Dora était partie parce que Freud navait pas mesuré limportance quavait eu pour Dora, laventure de Monsieur K. avec la gouvernante. Mais à relire le texte, on ne peut pas dire quil ne la prenne pas en compte. Simplement, il ne doit pas trouver que cest un argument suffisant pour refuser les avances de Monsieur K. Peut-être na-t-il pas assez prêté attention à ce qui le concernait dans le rêve. Elle comptait bien se venger de lui aussi. Peut-être sest-il cru un peu trop à labri de ses désirs de vengeance. Il le dit dailleurs : page 89. Dès le premier rêve, elle lavertissait quelle allait le quitter, quelle était en danger dans cette maison. Donc on retrouve, je retrouve cette question que je me posais à propos du premier rêve, pourquoi, Freud na-t-il pas pu occuper dans le transfert la place ancienne quoccupait son père, dans son enfance, celui qui la réveillait pour ne pas quelle mouille son lit. Peut-être quen travaillant cette question de lénurésie dans son lien à la masturbation au lieu de passer vite dessus, de faire comme si elle était évidente, il aurait pu occuper cette place du père. Je continue à trouver que linterprétation du premier rêve de Dora sest arrêtée trop tôt. Le lien de la masturbation et de lincontinence a été élidé par Freud. Disons le mot il na pas été analysé. Ce que Freud aurait découvert, cest que les fantasmes qui accompagnent la masturbation, étaient mis en uvre, non par rapport à son père, mais par rapport à sa mère, et à celle qui était son substitut actuel, Madame K. Cest ce que reprend le second rêve : je pénètre dans une ville étrangère que je ne connais pas Mais si elle la connaît. Jadis, elle y a séjourné. ( voir le texte de Freud : L'inquiétante étrangeté) Elle reprend, je vois devant moi une forêt profonde dans laquelle je pénètre Il me semble que c'est un typique fantasme de retour au ventre maternel, ce lieu d'inquiétante étrangeté que décrit si bien Freud. Un lieu qui vous est à la fois familier et étranger. "Unheimlich" est le terme allemand qu'il emploie. J'espère que je l'écris correctement. Avec l'Homme aux loups nous retrouverons finement décrit toutes les interprétations de fantasme de retour au ventre maternel que propose Freud. Ces références au fantasme de l'homme aux loups peuvent être utiles dans l'interprétation de ce rêve de Dora, surtout par rapport à la lecture que pourra en faire Lacan. Mais c'est ce que nous découvrirons bientôt à la rentrée. |