Fragments
du rêve, associations d'idées, pensées latentes du rêve
Dans
un texte très tardif, puique les nouvelles conférences sur la psychanalyse ont
été publiées en 1932 et que l'Interprétation des rêves date de l'année 1900, Freud
reprend cette question sous le titre "Révision de la science des rêves". Ce texte
est majestueux : avec la plus grande sérénité, Freud nous livre ce que trente
ans d'expériences quotidiennes auprès de ses analysants lui a apporté concernant
ce qu'il n'hésite pas a appeler la "science du rêve". Que
faut-il faire après avoir écouté un rêve ? Il répond : "Nous décidons de nous
occuper le moins possible du contenu manifeste du rêve" Il peut être confus ou
au contraire très clair, lumineux, peu nous importe. Le premier travail à effectuer
à propos de ce rêve, c'est de le découper, de le fragmenter en chacun de ses éléments,
soit en suivant leur ordre d'apparition soit en laissant le choix de l'ordre de
leur prise en compte à l'analysant, mais ce qui est important c'est que cette
mise en morceau fasse surgir les associations du rêve, parmi elles, bien sûr,
celles qui le plus sûrement nous engagerons sur la voie de son interprétation,
se trouvent "les résidus de la journée" tels qu'ils ont apparemment été l'occasion
de la formation du rêve. Je souligne cet "apparemment", puisque, comme Freud nous
l'indique, le véritable animateur du rêve est le désir insconscient et ce qui
s'est passé dans la journée, n'est,pour lui qu'un prétexte qui va lui permettre
de se manifester, d'arriver à trouver la voie de sa réalisation, malgré les entraves
qui lui sont imposées par la censure. Les
associations, nous indique Freud, sont indispensables pour arriver à trouver quelles
sont les pensées latentes du rêve, mais pourtant l'analysant s'arrête souvent
au bord de ces pensées latentes, n'y fait que de faibles alllusions, les "effleurent"
et l'analyste doit donc à un moment donné, prendre le risque de son interprétation.
Une fois
qu'on a trouvé ce que Freud décrit du nécessaire découpage du rêve en ses fragments
comme technique de son déchiffrage, le plan de ce chapitre s'organise de façon
harmonieuse, justement en fonction de chacun de ses fragments, selon trois étapes
: Tout d'abord
un bout du texte du rêve, les associations qui en surgissent puis ce qu'en avance
Freud. C'est ce plan d'ensemble que j'ai reconstitué avec l'aide d'un tableau
à trois colonnes. Ainsi
s'établissent progressivement les différentes strates du rêve. J'en ai repéré
cinq. Elles correspondent aux cinq parties de ce schéma déterminées par les fragments
du rêve analysé. Ce
qui en surgit, mais que Freud ne découvre que dans l'après -coup du départ de
Dora, donc trop tard, c'est "le profond amour homosexuel de Dora pour Madame K.
Gageons qu'il aurait pu s'en apercevoir , si au lieu de se contenter d'avoir obtenu
de Dora l'aveu de son énurésie, il avait attendu d'elle qu'elle lui dise de quoi
ou de qui, elle aurait eu besoin d'être sauvée par son père, quand la nuit, il
venait la réveiller pour l'empêcher de mouiller son lit. Mais
nous ne sommes encore qu'en 1900 et Freud commence à peine à découvrir avec sa
science des rêves, la science de l'inconscient. Il n'en connait pas encore toutes
les règles, il n'en a pas encore forgé les concepts. Il les découvre au gré de
sa propre analyse et de celles de ses analysants.
| Associations
"libres" | Déductions
et Interprétations de Freud |
"Elle erre toute seule dans une ville étrangère,
elle voit des rues et des places" | - Un album de photos,
une ville d'eau étrangère, rangé dans un boite. "où est la boite ?" Le
jeune homme parti à l'étranger qui la demandera, sans doute, en mariage. Un
cousin en visite à Vienne, un autre cousin qui lui avait fait visiter la ville
de Dresde. Elle alla toute seule et resta deux heures en contemplation devant
la "Madone Sixtine" | Images et tableaux "J'aimerais
aussi, écrit Freud, faire ressortir le thème de la Madone, de ma mère-vierge,
nous suivrons plus loin cette piste". Dora s'identifie à un jeune homme
en terre étrangère et met en scène le but qu'il poursuivait "la possession d'une
femme". La boite est remplacée par la gare, lieu de rapports. |
"Elle
demanda peut-être cent fois " | Son père demande du cognac
pour pouvoir dormir. Elle demande à sa mère le clef du garde-manger. | "Où
est la clef me semble être le pendant viril de la question :"où est la boite ?".
Ce sont ainsi des questions relatives aux organes génitaux." |
"Nous voici arrivés au texte de la lettre du rêve. Son père est mort,
elle s'est absentée de la maison de sa propre autorité". |
Pendant la même réunion de famille quelqu'un avait porté un toast à
la santé de son père... Il était fatigué. Combien d'années lui restaient encore
à vivre ? A la lettre du rêve écrite par sa mère, se trouve être associées
trois autres lettres : celle de Madame K. l'invitant à venir les rejoindre, la
lettre de Dora annonçant à ses parents son désir d'en finir avec la vie, la lettre
enfin de la gouvernant annonçant à ses parents qu'elle avait "fauté". "Mais
le texte de la lettre devait encore autoriser d'autres déterminations". Nouveau
récit de la scène au bord du lac. Oui la forêt du rêve ressemblait tout
à fait à celle au bord du lac. Mais elle se retrouve aussi dans un autre
tableau qu'elle a vu au cours d'une exposition : Au fond il y avait des nymphes.
( Nymphes est le nom scientifique donné aux petites lèvres de l'organe génital
féminin) C'est donc ce qui met Freud sur la piste de son interprétation. |
"Retenons le désir de vengeance comme nouvel élément pour la synthèse ultérieure
des idées latentes du rêve." Une épaisse forêt, des nymphes,"c'était
là de la géographie sexuelle symbolique". "Derrière la première situation
de ce rêve, se cachait alors... un fantasme de défloration, un homme s'efforçant
de pénétrer dans les organes génitaux d'une femme". On dit également pénétrer
les secrets. Dora tente ces deux approches. Cette interprétation de Freud
a pour effet de faire retrouver à Dora un fragment oublié de son rêve, celle où
elle consulte un dictionnaire. |
Premier fragment oublié : Elle va
tranquillement - pas du tout tristement - et lit un gros livre qui se trouve sur
son bureau. | Elle ne se souvenait pas tout
d'abord avoir jamais lu en cachette un dictionnaire, mais un autre souvenir survint
: Elle avait consulté un dictionnaire lorsque l'un de ses cousins avait du être
opéré d'une appendicite. | "Son père
mort, elle pouvait lire et aimer à sa guise." A nous la liberté ! "Je
me souvins alors qu'elle eut à Vienne, peu de temps après la mort de cette tante,
une prétendue appendicite" Elle souffrit tout d'abord de constipation (comme
l'Homme aux loups), puis elle souffrit de fortes douleurs et eut ses règles.Freud
est preque sûr que c'est un nouveau symptôme hystérique et un nouveau fragment
oublié du rêve resurgit alors, venant confirmer son interprétation. |
Second fragment oublié : "Elle se voit d'une façon particulièrement
distincte montant l'escalier". | Après sa pseudo-crise
d'appendicite, elle eu pendant longtemps une difficulté à marcher et qu'elle trainait
le pied droit. C'est pourquoi elle évitait volontiers les escaliers. "L'expérience
m'a enseigné, écrit Freud, qu'en aucun cas les souvenirs d'impressions plus tardives
n'ont la force de se réaliser en symptômes. J'osais à peine espérer qu'elle me
fournit le matériel infantile recherché..." Et il existait bel et bien :
Peu de temps de temps avant l'apparition de son asthme, à l'âge de huit ans, elle
était tombé et s'était foulé le pied. Elle avait eu le pied enflé (comme Oedipe)
et bandé. | Freud précise ensuite dans ce rêve,
l'importance des intervalles de temps et notamment la présence de ce chiffre neuf
: neuf mois après la scène au bord du lac, elle accouche. Donc un beau
fantasme de grossesse. Ce que Freud ne souligne pas c'est le fait que dans
la symbolique du rêve, monter un escalier signifie avoir un rapport sexuel. Le
fait de traîner le pied est un symptôme manifestant sa faute : c'est une fille
coupable. Elle a fait un faux pas. En note Freud rajoute quelques
notes sur le thème de la Madone, précisant que cette dernière eut pourtant vierge,
un enfant. ( Un enfant conçu sans péché, comme il est dit dans les litanies ou
les prières ). Dora est donc cette Madone, cette vierge devenue mère. Et
là, Freud éprouve le besoin de rajouter et d'insister lourdement sur le fait que
Dora est donc toujours amoureuse de Monsieur K. Nous verrons plus tard
que Lacan donne une toute interprétation à ce fantasme de grossesse. il installe,
bien au contraire Dora dans une identification virile au nom de l'équivalence
pénis/enfant. Elle s'en va toute seule. Elle n'a besoin de personne. Si j'osais,
je dirais, elle l'a. |
Dernier fragment qui aurait été omis par
Dora dans le second récit de son rêve et reconstitué par Freud : "Elle
avait oublié, en répétant le rêve l'une des questions ... "Monsieur X habite-t-il
ici ? "Où habite Monsieur X...?" (son père ) (note,
p. 78) | Commentaire de Freud à propos de cet oubli
: il doit y avoir une raison pour qu'elle est oublié cette question apparemment
innocente, après l'avoir introduite dans le récit de son rêve. |
Freud découvre la raison de cet oubli dans le fait que le nom propre de son
père (nous le connaissons maintenant : il s'appelait Bauer) peut signifier plusieurs
objets. Il a donc plusieurs sens, il est "équivoque", Dora s'en sert donc pour
désigner des mots "inconvenants" qui sont eux aussi équivoques. Freud y voit là
le dévoilement de la source orale des connaissances sexuelles de Dora, dont Madame
K., sa calomniatrice, était elle-même l'initiatrice.
C'est madame K. que Dora aurait généreusement
épargnée alors qu'elle poursuivait de ses désirs de vengeance tous les autres
membres de ce scénario. Freud en déduit "le profond amour homosexuel de Dora pour
Madame K." | Freud s'en est certes
aperçu, mais trop tard, Dora était déjà partie, elle s'était vengée de lui aussi.
Il n'avait pas pu deviner à temps que celle qui était le véritable objet de son
intérêt était une femme, une vraie femme, celle qu'elle aurait aimé être |
Dans
le fil des associations se dégagent donc au titre des "pensées latentes du rêve"
: des questions
sur la sexualité, les premiers rapports, la grossesse, l'accouchement, la maternité,
apaisant ainsi la curiosité sexuelle de Dora. La
mise en jeu de la mort de son père et de la sienne, en relation avec le désir
que son père avait eu, un temps, d'en finir avec la vie. Désirs
de vengeance également à l'égard de son père qui, selon elle, l'avait mise en
danger, en ne prenant pas en compte les désirs sexuels de Monsieur K. à son égard
et ceci pour pouvoir maintenir ses liens avec la femme aimée, Madame K. Un
fantasme de grossesse mise en scène par sa crise d'appendicite. Enfin
ce qui aurait pu achever ce rêve en feu d'artifice mais qui a été raté, parce
non perçu à temps : "le profond amour homosexuel de Dora pour Madame K. " Reste
à savoir quel sens il a, quel contenu donne-t-on à ce terme "homosexuel". L'accent
peut en effet être mis sur "même sexe". La question de Dora portant sur son sexe,
son sexe à elle, au travers de son amour pour Madame K. |