Les aiguillages du rêve
Ou comment Freud devance Lacan
Dans son interprétation du premier rêve de Dora, Freud
lui dit : " Je vous prie de bien vous rappeler vos propres expressions,
car ce sera peut-être utile. Vous venez de dire : qu'on pouvait
avoir besoin de sortir la nuit.
Et cette expression mise en italiques par Freud est complétée
d'une note, où il témoigne de sa surprise. Littéralement
" ces mots me surprennent ". Il en surprend l'équivoque.
Avec ces mots, nous arrivons directement à l'incontinence urinaire
de Dora, soit à son érotisme urétral, ce qui nous
éloigne pour un moment des fixations orales de Dora.
Deux remarques à ce
propos : " ces mots me surprennent ". C'est Reik qui a souligné
l'importance de la surprise dans le travail analytique. La découverte
d'une manifestation de l'inconscient est toujours surprise, elle prend
au dépourvu et l'analyste et l'analysant.
La deuxième remarque
porte sur le fait que Freud va décrire avec ses propres mots,
et sans l'appui de la linguistique - et pour cause, puisqu'elle n'a
pas encore été inventée - ce que Lacan spécifie
de " l'équivoque signifiante ".
Pour la décrire, Freud choisit lui une métaphore ferroviaire,
les " aiguillages " ou les changements d'aiguillages dans
la voie des associations que l'analyste doit effectuer par rapport au
récit d'un rêve ou d'un symptôme. Autrement dit,
il faut savoir ne pas rester sur les mêmes rails, changer de direction.
Je cite Freud : " Les mots équivoques sont, dans la voie
des associations, comme des aiguilles. On met l'aiguille autrement qu'elle
ne semble être placée dans le contenu du rêve, on
arrive au rail sur lequel se meuvent les idées recherchées
et encore dissimulées derrière le rêve ".
A propos de cette page 47
du texte, j'ai été également frappée par
cette remarque de Freud :
" Je tiens à n'examiner que les rapports entre les événements
à L
et les mêmes rêves d'alors ". J'ai
cru un moment que c'était dans l'écriture de son texte
" qu'il tenait à n'examiner que
", mais dans
les phrases qui suivent, on s'aperçoit que c'était bel
et bien dans l'analyse elle-même de Dora, qu'il maintenait ce
cap.
On retrouve cette même violence du désir de Freud dans
l'analyse de l'Homme aux rats.
Je trouve qu'il s'agit quand même plus, comme l'avait remarqué
Lise l'autre jour, d'un interrogatoire que d'une interrogation.
Freud découvrait la psychanalyse, il n'était sûr
de rien, et il avait besoin de preuves.
Mais c'était aussi une façon d'associer ses analysants,
à la grandeur de sa découverte. C'est avec eux, avec leur
participation active, qu'il pouvait l'inventer.
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