Du traitement psychologique d'un phénomène organique,

les passerelles élaborées par Freud

Agnès Bely

Tableau d'Anne-Marie Tort

 

Freud continue, dans sa conclusion, à répondre à ses détracteurs. À ceux qui l'accuseraient de tout « psychologiser », Freud répond qu'il n'a jamais nié la nature organique des phénomènes pathologiques dont il élabore le traitement. Il argumente pour répondre à des critiques un peu trop faciles contre sa théorie.

Premièrement, Freud n'a jamais nié la nature organique des pulsions, a fortiori des pulsions sexuelles[1], bien au contraire, il a même travaillé à montrer le lien entre ces pulsions et la névrose. Ceci, au début de ces recherches, à travers les expériences d'hypnose[2] de patientes hystériques, puis plus tard à travers la techniques des libres associations mise en pratique dans l'interprétation des res.[3] Ainsi, la pulsion n'est pas étrangère à la vie psychique, bien au contraire. L'étude de ces pulsions, excitations d'origine organique est notamment développée dans l'article pulsion et destin des pulsions, tiré de l'ouvrage metapsychologie. Cette étude des pulsions existe déjà dans un ouvrage plus ancien : les trois essais sur la théorie sexuelle, publiés en 1905, sur lesquels il « planche » en même temps que l'étude de l'analyse de Dora, et où apparaît déjà cette affirmation de l'origine organique des pulsions. (il serait difficile d'affirmer le contraire !)

En second lieu, Freud a pu évoquer dans l'état morbide, puis à travers le second rêve, sans son fragment d'une analyse d'hystérie la complaisance somatique des symptômes hystériques. Freud, à mon point de vue reste modeste dans la formulation de cette hypothèse qu'il a tout de même développée.[4] Ainsi, la toux de Dora, qui est apparue comme un symptôme hystérique n'est au départ qu'un symptôme organique qui a été concommitant d'une situation externe que Dora a associée inconsciemment à sa toux. De même, la claudication de Dora, et son faux pas, qui se renouvellent à travers le second rêve, ne sont que la réminiscence d'un lointain souvenir d'enfance, et cette fragilité physique est utilisée par le symptôme pour symboliser une expérience psychique de Dora. On peut facilement imaginer que le cerveau établisse des connexions entre le corporel et ce qui est ressenti comme trauma à un moment donné ainsi que toutes les perceptions sensorielles qui y ont été associées.

En troisième lieu, Freud ne disposait pas de l'imagerie cérébrale pour appuyer ses découvertes. Bien sûr il est fort probable que le lieu de l'inconscient ne sera jamais découvert comme une zone géographique du cerveau. Mais des phénomènes psychiques, comme la pensée, le langage, sont depuis quelques années observés sous leurs aspects organiques à travers l'imagerie cérébrale comme des phénomènes de connexions et de neurotransmetteurs. Ainsi, il n'est plus à démontrer qu'une thérapie basée par le langage, les libres associations, et le transfert (répétition de situations affectives passées dans la réminiscence présente au sein du cabinet de l'analyste) n'ait aucun effet sur le soma. Les travaux de Freud n'ont pas attendu les études des neurobiologistes pour porter leurs fruits, et déjà, la psychanalyse a pu se répandre comme une traînée de poudre dès la première moitié du XXème siècle malgré les objections qui lui ont été faite et que certains n'hésitent pas encore à formuler. Remettre en cause la portée de la psychanalyse et la taxer de charlatanisme relèverait d'un aveuglement digne de l'obscurantisme, en effet, on ne saurait nier les portée d'une telle découverte, à condition que cette discipline soit exercée avec sérieux, éthique, dans une vraie démarche de recherche et de dialogue. En effet la psychanalyse ne peut nier l'individualité du patient et l'inédit de la rencontre analysant analysé qui ne saurait être la même pour tous. La découverte du transfert à travers l'analyse de Dora par Freud fait de chaque analyste un chercheur pour lui même et ses analysant, et chaque psychanalyse est une découverte. C'est aussi dans cette démarche de découverte et d'aventure que j'ai envie de m'inscrire en lisant en groupe différents textes fondateurs de la psychanalyse.

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1. [1] P 84,fragment d'une analyse d'hystérie, « personne ne pourra dénier à la fonction sexuelle, dans laquelle je vois la cause de l'hystérie, ainsi que celle des psychonévroses en général, son caractère de facteur organique. Une théorie de la sexualité ne pourra, je le suppose, se dispenser d'admettre l'action excitante de substances sexuelles déterminées.

[2] Voir les « études sur l'hystérie »

[3] Dans « Die traumdeutung », Freud montre, à travers la technique des libres associations appliquée à plusieurs exemples, que le rêve est « la réalisation d'un désir à contenu sexuel », même s'il y a d'autres interprétations possibles qui viennent aussi se greffer à travers la découverte des pensées latentes du rêve.

[4] P 85, fragment d'une analyse d'hystérie , de même n'ai-je pas exposé non plus dans ce travail, ce qu'on pourrait appeler la complaisance somatique.

 

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