Dora donne ses quinze jours… et ses quinze mois

Liliane Fainsilber

 

Tableau Anne-Marie Letort


En commençant à lire la conclusion de ce texte de Dora, j'ai eu l'œil attiré par une phrase que j'avais soulignée en couleur sur la page d'à côté (p. 82).
Freud s'y interroge sur ce qu'il aurait pu faire de plus pour retenir Dora, pour l'empêcher de partir :
"Serais-je parvenu à retenir la jeune fille, se demande-t-il, si j'avais joué vis à vis d'elle un rôle, si j'avais exagéré la valeur qu'avait pour moi sa présence et si je lui avais montré un intérêt plus grand, ce qui malgré l'atténuation qu'y eût apportée ma qualité de médecin, eût un peu remplacée la tendresse tellement désirée par elle ? Je ne sais. Comme une partie des facteurs qui s'opposent à nous en tant que résistance nous restent, dans tous les cas, inconnus, j'ai toujours évité de jouer des rôles et me suis contenté d'une part psychologique plus modeste. Malgré tout l'intérêt théorique, tout le désir qu'a le médecin d'être secourable, je me dis qu'il y a des limites à toute influence psychique et je respecte de plus la volonté et le point de vue du patient. "

Pourquoi Freud a-t-il laissé partir deux fois Dora ?
La première fois, il repère très bien que Dora s'est identifiée à la gouvernante qui, séduite par Monsieur K., avait attendu un moment, avant de se décider à donner son congé.
C'est ce que fait Dora, elle attend elle aussi, elle trouve que c'est trop long, que le traitement dure trop longtemps et elle finit par partir.
Dans mon enfance j'entendais souvent répéter ce vieil adage, qui était prononcé soit en dialecte niçois, soit en provençal - je ne pourrait l'écrire autrement qu'en écriture phonétique donc je le traduis en français "Tant qu'on espère, on ne part pas".
Pour moi, cette phrase est reliée à l'attente d'un enfant du père.

La possibilité d'une grossesse est évoquée au cours de cette brève aventure de la gouvernante avec son maître et c'est ce même fantasme de grossesse que nous retrouvons avec le symptôme de Dora, les séquelles de sa crise d'appendicite.

Freud nous dit que Dora, en partant, c'était vengé de lui comme de Monsieur K.
Mais ce qui me paraît à retenir c'est le fait qu'au moment où, à la dernière séance, Dora lui annonce son départ, Freud lui répond " Vous savez que vous êtes toujours libre de cesser le traitement. Mais aujourd'hui nous allons encore travailler. Quand avez-vous pris cette décision ?"

"Toujours libre… ". Je crois que c'est avec cette phrase, que Freud a conforté la décision de Dora. C'était le mot de trop. Il intervenait en tant que personnage réel, en tant que Freud, en tant que moi, dans la relation transférentielle. Piqué au vif, quoiqu'il en dise et en écrive, il lui répondait du tac au tac, en se protégeant derrière sa fonction d'analyste, "si vous vous voulez partir, mais partez donc !, vous êtes libre, ce n'est pas moi qui vous retiendrai.

Mais Freud la laisse partir une deuxième fois, alors qu'elle est venue "lui demander de l'aide" pour un nouveau symptôme : une névralgie faciale, souvenir de la gifle qu'elle avait administrée à Monsieur K. au moment de la scène au bord du lac.
C'est là que l'occasion de poursuivre, de reprendre cette analyse est vraiment manquée. Elle était venue lui demander de l'aide, tout comme jadis son père l'aidait, en la réveillant, à ne pas mouiller son lit.
Mais aussi, on peut remarquer que c'est d'autant plus regrettable du fait que, si la première fois Dora était venue accompagnée par son père, et sous sa pression, cette seconde fois, c'était Dora, elle-même, de son propre chef, qui était venue lui demander de l'aide.

Cette névralgie faciale était une manifestation de son transfert pour Freud.
"Elle était venue requérir mon aide contre une névralgie faciale droite qui la tourmentait nuit et jour. Je lui demandais depuis quand elle en souffrait : "depuis quinze jours exactement". Je souris, car je pus lui démontrer qu'elle avait lu, il y avait exactement quinze jours une nouvelle me concernant" 1902. J'ignore quelle sorte d'aide elle avait voulu me demander, mais je lui promis de lui pardonner de m'avoir privé de la satisfaction de la débarrasser plus radicalement de son mal".
Cette date correspond-t-elle à la sortie d'une des ses œuvres, par exemple la psychopathologie de la vie quotidienne ? Ou bien a-t-il était nommé à cette date et enfin Professeur extraordinaire ?

Pourquoi Freud n'a-t-il pas essayé d'en savoir plus sur cette aide qu'elle était venue lui demander ?
"Elle se présenta chez moi, écrit Freud, pour terminer son histoire et pour demander à nouveau mon aide. Mais sa physionomie révélait au premier coup d'œil que cette demande ne pouvait être prise au sérieux".
Quel dommage !

Cet épisode de l'analyse de Dora démontre, il me semble, la formule de Lacan selon laquelle "il n'y a de résistance que de l'analyste".

 

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