Notes de lecture sur LES THEORIES SEXUELLES INFANTILES (1908)

(in La vie sexuelle – PUF)

Catherine Turpyn

 


Freud annonce d'entrée de jeu que cet article concerne avant tout l'évolution sexuelle de la gent masculine, du sexe masculin [il travaille à la même époque sur l'analyse du petit Hans] (p.16)
Il ajoute que les théories sexuelles infantiles sont insdispensables pour comprendre la névrose : dans cette dernière certaines d'entre elles restent d'actualité et sont déterminantes pour la forme que prendront les symptômes.

Ce n'est pas dans le constat que l'humanité se compose de deux sexes que s'origine la soif de savoir de l'enfant. Sa curiosité ne se porte sur la sexualité qu'à partir de la naissance d'un petit frère ou d'une petite sœur : d'où vient-il celui-là avec qui il va devoir partager ? L'hostilité face à l'intrus est manifeste.

[En 1916/17 Freud affirmera le contraire concernant la petite fille qui rencontre la question de la différence des sexes avant de s'atteler à la question du puîné cf. Vingtième conférence d'introduction à la psychanalyse, Studienausgabe p. 313, note 2.

Voir aussi dans La vie sexuelle - Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique des sexes (1925), particulièrement p. 127/128]


L'enfant se met à penser, à vouloir réfléchir, pour pouvoir se mettre à l'abri d'un autre mauvais coup comme s'il s'agissait pour lui d'une question de survie (p.17) ; un lien s'établit entre réflexion et sexualité, donc ; mais les adultes se contentent de le tromper ou de le renvoyer avec sa question ; il comprend que ses investigations touchent à quelque chose d'interdit (p.18) que les grandes personnes se réservent, et le voilà condamné à continuer ses explorations dans le secret [me fait penser aux explorations d'Ernst sous les jupes de la bonne qui lui demande son silence...] Ce " conflit psychique " a tôt fait de se transformer en " clivage psychique " entre conscient et inconscient, nous dit Freud : le petit garçon sage ne se mêle plus de réfléchir à des questions de grands et refoule ce vers quoi le porterait sa " préférence pulsionnelle "...

[Peut-on dire, que pour " faire plaisir " l'enfant doit renoncer à un certain plaisir lié à l'excitation sexuelle ressentie dans la " zone érogène directrice ", dans " l'objet sexuel autoérotique primordial " (c'est ainsi que Freud parle du pénis p.19), lors de ses investigations ?]

Ainsi réduit à l'ignorance, l'enfant échafaude des théories nécessairement fausses, mais qui comportent cpdt toutes une " part d'authentique vérité " liée au fait " qu'elles trouvent leur origine dans les composantes de la pulsion sexuelle qui sont déjà à l'œuvre dans l'organisme de l'enfant " (p.19) - l'enfant a une activité sexuelle, il y a une vie sexuelle infantile contrairement à l'opinion généralement répandue réaffirme Freud. (p.14 et p.19)

Et ce sont les nécessités, les contraintes de cette " constitution psycho-sexuelle " qui mènent tout droit aux conceptions en grande partie erronnées de l'enfant.

Freud distingue plus particulièrement 3 théories :

1) Tous les êtres humains, êtres féminins y compris, ont un pénis.

Il est impossible au petit garçon d'envisager l'existence d'une " autre personne semblable au moi " et dépourvue de " cet élément essentiel " ; si d'aventure il aperçoit le sexe d'une petite fille, il concluera infailliblement qu'il poussera avec l'âge quitte à faire ployer, à " faire violence à sa perception " -

Suit le passage sur " la femme au pénis " dans le rêve de l'adulte (p.19) :

" ...dans un état d'excitation sexuelle nocturne il [=l'adulte] renverse [jette à terre] une femme, la dénude et se prépare au coït, quand la vue du membre parfaitement développé à la place des parties génitales féminines arrête [met fin] le rêve et l'excitation. Les nombreux hermaphrodites de l'Antiquité classique reproduisent fidèlement cette représentation que tous les enfants ont eue un jour [cette représentation infantile jadis très répandue ?] ... on peut observer que celle-ci ne choque pas la plupart des gens normaux tandis que les formes hermaphrodites des organes génitaux que la nature laisse se produire [tels que les produit la nature] dans la réalité suscitent presque toujours la plus grande aversion. "

[1° Dans ce passage - il me paraît très important - le désir et l'excitation sexuelle de l'homme disparaîssent quand il découvre une femme " non castrée ", une femme avec un pénis... Ne peut-on pas supposer alors qu'il était d'abord attiré par la femme qu'il croyait dépourvue de membre ?
2° Freud évoque la vision d'horreur que sont pour le commun des mortels " les formes hermaphrodites des parties génitales " dans la réalité, quand c'est pour de vrai ; pourquoi les représentations de figures hermaphrodites dans/de l'Antiquité ne produisent-elles pas cet effet de repoussoir, voire d'horreur ?]

" Si cette représentation de la femme au pénis se " fixe " chez l'enfant, ... et rend l'homme incapable de renoncer au pénis chez son objet sexuel, alors un tel individu ... deviendra nécessairement un homosexuel et cherchera ses objets sexuels parmi les hommes qui, pour d'autres caractères somatiques et psychiques lui rappellent la femme. La femme réelle ... demeure pour lui impossible comme objet sexuel, car elle manque de l'excitant sexuel essentiel ... elle peut devenir pour lui objet d'aversion. L'enfant, principalement dominé par l'excitation du pénis, a pris l'habitude de se procurer du plaisir en excitant celui-ci avec la main ; il a été pris sur le fait par ses parents ou les personnes qui s'occupent de lui et la menace qu'on allait lui couper le membre l'a rempli d'effroi. L'effet de cette " menace de castration " correspond exactement à la valeur accordée à cette partie du corps : il est donc extraordinairement profond et durable. Les légendes et les mythes témoignent de la révolte qui boulverse la vie affective de l'enfant, de la terreur qui est liée au complexe de castration ; dans cette mesure, plus tard, la conscience répugnera encore à se souvenir de celui-ci. Or les parties génitales de la femme quand, plus tard, elles sont perçues, et conçues comme mutilées, évoquent cette menace et, pour cette raison, provoquent chez l'homosexuel de l'horreur au lieu du plaisir. "

[Ce serait ici, d'après la Studienausgabe en allemand, la première apparition du terme " complexe de castration ".]

L'anatomie établit, nous dit Freud, un parallèle entre le pénis et le clitoris comme un équivalent de petit pénis féminin qui " se comporte bel et bien dans l'enfance de la femme comme un véritable pénis : il est le siège d'excitations qui conduisent à le toucher, son excitabilité confère à l'activité sexuelle de la petite fille un caractère masculin et une vague de refoulement est nécessaire dans les années de la puberté pour laisser apparaître la femme en évacuant cette sexualité masculine. " Et à Freud de conclure : " Or, chez beaucoup de femmes, la fonction sexuelle est atrophiée, soit que l'excitabilité du clitoris soit maintenue obstinément, en sorte qu'elles restent insensibles dans le coït, soit que le refoulement soit allé trop loin, au point que son effet est en partie supprimé par la formation hystérique de substituts ; tout cela est loin de donner tort à la théorie sexuelle infantile qui veut que la femme, comme l'homme, détienne un pénis. "

Freud parle ensuite du " Penisneid ", de l'envie du pénis chez la petite fille et précise que " quand elle exprime [erreur dans la traduction française qui dit " réprime " à la place de exprime] ce désir : j'aimerais mieux être un garçon, nous savons à quel manque ce désir doit remédier. "

[Pour les deux sexes les choses s'articulent autour d'un même centre d'intérêt : le pénis. Reste la question de savoir comment s'articulent les choses autour du phallus, de la castration...
Il me semble que si Freud évoque une sortie du complexe d'Œdipe pour le garçon sous le choc de la menace de castration, il " cale " devant le problème de la sortie du complexe d'Œdipe de la fille qui y entre en quelque sorte avec un savoir sur la castration du fait de son anatomie. Comment en ressort-elle ?]

Dans le dernier paragraphe concernant la première théorie sexuelle infantile Freud exprime l'idée que " Si l'enfant pouvait suivre ce que lui indique l'excitation du pénis, il se rapprocherait un peu de la solution de son problème " ; d'un côté il y a la mère avec l'enfant dans son ventre, de l'autre le père avec le pénis qui dit que c'est aussi son enfant ; et l'enfant sent bien que " le pénis a aussi, sans aucun doute, sa part dans ces processus mystérieux [de la conception à la grossesse], il en témoigne par son excitation qui accompagne tout ce travail de pensée. A cette excitation sont liées des impulsions que l'enfant ne sait pas interpréter, impulsions obscures à une action violente : pénétrer, casser, percer des trous partout. Mais quand l'enfant semble ainsi en bonne voie pour postuler l'existence du vagin [die Scheide, en allemand = le sexe de la femme, les parties génitales] et reconnaître dans une telle pénétration du pénis du père dans la mère cet acte par lequel l'enfant apparaît dans le corps de la mère, c'est là que la recherche s'interrompt, déconcertée : elle vient buter sur la théorie selon laquelle la mère possède un pénis comme l'homme ... On admettra volontiers que l'insuccès de son effort de pensée facilite le rejet et l'oubli de celui-ci ... le premier échec a un effet paralysant pour toute la suite du temps." (p.21)

[Les termes employés ici par Freud contiennent, je trouve, une grande violence... ]

Le fait que l'enfant ne reconnaisse pas l'existence du vagin va l'amener à sa seconde théorie :

2) L'enfant est évacué comme un excrément par le seul chemin possible : l'orifice intestinal.

Si les enfants ne rentrent pas par en-bas - conclusion qu'impose la première théorie - alors ils doivent donc rentrer par en-haut ; et sous l'influence, entre autres, des contes, l'enfant conclut : " On mange une certaine chose et cela vous fait avoir un enfant. " (p.22) ... et l'enfant vient au monde par l'anus : " il n'y avait rien de dégradant à venir au monde comme un de ces tas de crotte que le dégoût n'avait pas encore proscrits. " (p.22)

[Cette seconde théorie permet également de gommer quelque chose de la différence des sexes : si on met un enfant au monde par l'anus, alors " l'homme peut aussi bien enfanter que la femme. " (p.22)]


3) La conception sadique du coït après que l'enfant a été témoin d'un rapport sexuel entre ses parents.

Cette conception repose sur l'observation [concrète] d'un rapport sexuel entre les parents, rapport " ... dont ils [les enfants] ne peuvent avoir d'ailleurs que des perceptions très incomplètes " résultant du " fragment qui s'offre alors à leur observation - positions respectives des deux personnes, bruits [émis] ou telle [ou telle] circonstance annexe " (p. 22) -
Tous les enfants, nous dit Freud, en arrivent à la même conception sadique du coït, car à la vision du corps à corps ils établissent (surtout les garçons) un parallèle avec les bagarres qu'ils connaissent dans leur vie d'enfant à l'école ou avec des frères et sœurs - bagarres elles aussi souvent mêlées " d'un supplément d'excitation sexuelle " (p.22) ; mais, nous dit Freud, les enfants n'établissent pas de lien pour autant entre cette observation [excitante] du coït et une éventuelle réponse à leur question sur l'origine des enfants, justement parce qu'ils ont aussi interprété le rapport sexuel " comme quelque chose que la partie la plus forte fait subir avec violence à la plus faible ", violence que l'enfant croit trouver confirmée par d'autres éléments (traces de sang, non-consentement de la femme qui craint une nouvelle grossesse, mariages malheureux...).

" Mais cette conception sadique du coït donne elle-même l'impression d'un retour à l'obscure impulsion à exercer une activité qui, au moment de la première réflexion sur l'énigme de l'origine des enfants, se rattachait à l'excitation du pénis. Il ne faut pas non plus écarter que la toute première impulsion sadique, qui aurait presque fait deviner le coït, est elle-même intervenue sous l'influence de souvenirs les plus obscurs des rapports parentaux, souvenirs pour lesquels l'enfant, alors qu'il partageait encore (...) la chambre à coucher des parents, avait reçu le matériel, sans qu'à l'époque il lui donnât sa valeur.
La théorie sadique du coït qui, ainsi isolée, va égarer la recherche là où elle aurait pu apporter des confirmations, est encore une fois l'expression d'une des composantes sexuelles innées qui peut être plus ou moins prononcée selon les enfants, et c'est pourquoi elle est juste jusqu'à un certain point : elle devine en partie l'essence de l'acte sexuel et la " lutte des sexes " qui le précède. " (p.23)

Autre question pour l'enfant : que signifie " être marié " ? L'enfant s'en promet une " satisfaction de plaisir et suppose qu'il n'y est plus question d'avoir honte " (p.24) " Les opinions infantiles sur la nature du mariage qui sont souvent retenues par la mémoire consciente, ont une grande importance pour la symptomatologie d'une affection névrotique ultérieure (...) Plus tard le désir d'être marié peut prendre la forme d'expression infantile, pour apparaître dans une phobie tout d'abord non reconnaissable ou dans un symptôme correspondant. " (p.24)

Voilà pour le principal. Freud y ajoute encore " quelques compléments dont autrement toute personne informée aurait ressenti l'absence. " (p.25) :

- la conception " par le baiser " - prédominance de la bouche comme zone érogène, théorie exclusivement féminine d'après l'expérience de Freud, avec un rôle pathogène quand la recherche sexuelle a été soumise dans l'enfance à de très fortes inhibitions.

- la théorie de la " couvade " - liée au doute jamais entièrement surmontable sur la paternité.

Vers l'âge de 10/11 ans nouvel élan dans la recherche sexuelle : les enfants commencent à être informés des questions sexuelles. L'existence du vagin et sa destination sont révélées - mais cette ignorance est remplacée par une autre : celle de l'existence du sperme ; les explications restent " mêlées avec du faux et chargées des résidus des théories sexuelles infantiles anciennes. " (p.25)

Mais " les théories que les enfants créent alors n'ont plus la marque typique et originaire qui caractérisait les théories primaires, de la première enfance, au temps où les composantes sexuelles infantiles pouvaient sans connaître d'inhibition et sans subir de transformation trouver leur expression dans des théories. " (p.25/26)

Suivent quelques exemples encore de théories plus éloignées de l'intérêt de Freud et il ajoute " ... je dois seulement souligner là que les enfants produisent beaucoup de choses fausses dans le but de contredire une connaissance plus ancienne, meilleure mais devenue inconsciente et refoulée. " (p.26)

Et Freud conclut : " Pour variées que soient ces conduites tardives des enfants à l'égard de la satisfaction du désir [die Befriedigung der sexuellen Wißbegierde] sexuel de savoir, pour ce qui est de leurs premières années d'enfance, nous sommes en droit d'admettre un comportement tout à fait uniforme, et de croire qu'autrefois il faisaient les plus grands efforts afin de découvrir ce que les parents font ensemble pour que viennent les enfants. " (p.27)


Retour Approches complexe de castration



... à suivre