La mal armée les affres du complexe de castration féminin Liliane Fainsilber (Extrait de "La place des femmes dans la psychanalyse", L'Harmattan, 1999)
Freud, mis au banc des accusés par les féministes, pourrait-il, de nos jours, être acquitté? La bataille n'est peut-être pas gagnée d'avance, sans doute aurait-il besoin, pour assurer sa défense, d'un bon avocat. Nous trouvons en effet dans sa correspondance une lettre (1) bien compromettante où Freud avoue son peu d'enthousiasme pour l'émancipation des femmes. Il se demande, au nom de quels avantages, elles pourraient souhaiter acquérir des droits civiques, dont le droit de vote, des droits juridiques, le droit de gérer leurs biens et surtout des droits aux études, un accès au monde de la culture, celui des lettres, des sciences et des arts? Telle est la question que se pose Freud. Il est sûr que Martha, sa fiancée, n'a pas à souhaiter de telles réalisations pour elle-même, elle trouvera le bonheur dans la douceur de son foyer, auprès de son mari et de ses enfants. Nous ne pouvons bien sûr que regretter le fait que l'inventeur de la psychanalyse ne se soit pas fait le porte-parole des femmes pour les aider à acquérir ces droits, tout comme l'avait fait Condorcet au moment de la révolution française et un peu plus tard Jones Stuart Mill, mais sans nuldoute, Freud a été simplement victime des préjugés de son époque et de son milieu. Mais ceci est d'autant plus surprenant qu'il avait lui-même traduit en allemand l'ouvrage de Stuart Mill "De l'émancipation des femmes" (2). Tout bien pesé, puisque cette lettre adressée à Martha est datée de 18.., nous pouvons peut-être accorder à Freud des circonstances atténuantes, au nom du fait qu'il n'avait pas encore inventé la psychanalyse et donc découvert, pour lui-même, les effets peu souhaitables du complexe de castration. La guerre des sexes En effet serrés
l'un contre l'autre, un homme et une femme peuvent s'aimer mais peuvent
aussi se dresser l'un contre l'autre. Cette guerre des sexes est liée
aux séquelles du complexe de castration, celui des hommes comme
celui des femmes. Les Amazones, ces femmes guerrières Quels peuvent être
les effets néfastes du complexe de castration féminin?
Le mythe des Amazones nous en donne une idée, ce sont des femmes
guerrières et chasseresses. Elles se brûlent le sein droit
pour pouvoir tirer à l'arc. Elles renvoient à leurs pères,
des étrangers, tous leurs enfants de sexe mâle et ne gardent
auprès d'elles que leurs filles. Elles vivent donc entre femmes.
Ce mythe a très peu inspiré les écrivains et beaucoup
plus les peintres et les sculpteurs mais ces Amazones sont souvent représentées
blessées. J'ai emprunté à nouveau à Jones un exemple de ces effets néfastes du complexe de castration mais cette fois-ci du côté des hommes. Il décrit la nécessité pour certains hommes de se rassurer devant les dangers de la castration par une surestimation virile. Ils éprouvent un solide mépris à l'égard des femmes qui masque en fait leur craintes de se voir châtrés par elles. Jones le décrit dans un article sur le symbolisme du sel dans le folklore et la superstition4. Il indique que le sel est posé en équivalence avec le sperme et surtout l'urine et pour le démontrer il cite donc quelques titres de journaux. Nous sommes en 1912. Jones écrit
: "Dans le folklore et la superstition, le sel de façon
caractéristique, représente le principe mâle, actif,
fertilisant. On peut apprécier la vérité de cette
dernière phrase en observant quelques titres de la presse quotidienne,
où on a l'occasion de lire : l'homme, "sel de la terre",
la science contre les partisans du droit de vote des femmes : Une étude studieuse de l'envie du pénis dans le texte de Freud Comment, malgré
les effets désastreux de cette mauvaise rencontre que constitue
la découverte de la différence des sexes comment y a-t-il
un amour possible entre un homme et une femme? 1905 - Premier constat clinique Le Pénisneid
apparaît pour la première fois dans "Les trois essais
sur la théorie de la sexualité"(6). Le garçon,
lui, souffre d'un complexe de castration, craintes et angoisses relatives
à la perte de son propre pénis. La fille, elle, est en
proie à l'envie du pénis, au Pénisneid, qui s'exprime
dans le désir d'être "à son tour" un homme. 1914 - premier constat théorique : à chacun son complexe L'envie du pénis
est décrite comme étant la forme même du complexe
de castration féminin dans le texte "Pour introduire le
narcissisme (7)". 1914- "Moi
la mal venue, la mal armée, Toujours dans ce
même texte, "Pour introduire le narcissisme", Freud
commence à décrire le destin féminin en posant
le fait que le complexe de castration, l'envie du pénis, détermine
la forme la plus typique du choix d'objet féminin. Il oppose
tout d'abord "le plein amour d'objet selon le type par étayage
dont le modèle est celui de la femme qui nourrit ou de l'homme
qui protège - au type narcissique, celui où on s'aime
soi-même dans l'autre. Puis précise que dernier choix correspond
au "type féminin le plus fréquent et vraisemblablement
le plus pur et le plus authentique. Dans ce cas, il semble que le développement
pubertaire, la formation des organes sexuels féminins qui étaient
restés jusque là à l'état de latence provoque
une augmentation du narcissisme originaire ... Il s'installe, en particulier
dans le cas d'un développement vers la beauté, un état
où la femme se suffit à elle-même ...de telles femmes
n'aiment, à proprement parler, qu'elles-mêmes, à
peu près aussi intensément que l'homme les aime. Leur
besoin ne les fait pas tendre à aimer mais à être
aimées et leur plaît l'homme qui remplit cette fonction"
(8). 1916 - L'injustice d'être une femme En raison des préjudices qu'elles disent avoir subis, du fait de leur privation phallique, les femmes estiment très souvent avoir droit à des compensations. Elles espèrent, au titre des dommages subis, échapper aux contraintes dues à la vie. Passe-droits et privilèges devraient leur être acquis. Freud évoque ces exigences féminines dans un bien singulier contexte en citant une tirade de Richard III, un personnage difforme et malformé de Shakespeare : "Moi qui ne suis pas formé pour les galants ébats ni fait pour courtiser la luxure au miroir, moi le mal équarri à qui la majesté de l'amour fait défaut pour m'aller pavaner devant une nymphe... moi qui suis amputé des charmes corporels ...difforme, inachevé, dépêché avant terme en ce monde où on respire, à peine mi-bâti et de si boiteuse et déplaisante manière que les chiens aboient quand je claudique près d'eux ...eh bien dès lors je suis résolu de m'avérer un scélérat et d'exécrer leurs vaines amusettes (9)". Freud souligne,
bien sûr, le fait que le dramaturge éveille la connivence
du lecteur ou du spectateur, sa sympathie à l'égard des
désirs de vengeance du duc de Gloucester, que les hommes et les
femmes sont concernés mais il rajoute surtout ceci: "Nous
ne voulons pas quitter les exceptions sans observer que la prétention
des femmes aux privilèges et à la libération de
tant de contraintes dues à la vie repose sur le même fondement.
Comme nous l'apprenons par le travail psychanalytique, les femmes se
considèrent comme lésées dès leur enfance
et raccourcies d'un morceau et tenues à l'écart, sans
qu'il en soit de leur faute et l'amertume de tellement de filles à
l'égard de leur mère prend finalement racine dans le reproche
que celle-ci les a fait naître femme au lieu de les avoir fait
naître homme". 1917 - La grande
"équation symbolique": Cette équation,
qui est décisive pour toute approche de la sexualité féminine,
apparaît, pour la première fois, dans le texte "Sur
les transpositions des pulsions et plus particulièrement dans
l'érotisme anal." C'est grâce à chacune de ces équivalences symboliques que se trace le destin sexuel d'une femme, destin qui rend possible sa rencontre amoureuse avec un homme. Elle troque en effet son envie du pénis contre le désir de recevoir un enfant en cadeau. 1917 - L'envie du pénis est le support des symptômes névrotiques La névrose
révèle toujours les impasses ou les difficultés
de devenir une femme. La névrose maintient en effet cette dernière
du côté de la virilité et témoigne de la
prévalence de ses identifications viriles : "Si on explore
assez profondément, écrit Freud, la névrose d'une
femme, il n'est pas rare qu'on finisse par buter sur le désir
refoulé qu'elle a de posséder comme l'homme un pénis"
(11). Mais de plus, à tous les moments de sa vie, lorsque pour
une raison ou pour une autre son désir d'enfant ne peut être
satisfait, il reprend aussitôt son ancienne forme, il redevient,
par reflux de la libido, envie du pénis et le "porteur des
symptômes névrotiques". 1917- De l'amour de l'organe à l'amour d'une femme pour un homme Freud avance donc,
dans ce texte et pour la première fois, ce que serait une position
féminine dite normale, celle où le désir du pénis
serait transformé en désir de l'homme, indépendamment
de son désir supplémentaire d'obtenir un enfant de lui.
"Nous pourrions indiquer, écrit-il, quel destin connait
le désir infantile d'avoir un pénis lorsque les conditions
de la névrose sont absentes dans la vie ultérieure. Il
se change alors en désir de l'homme, autrement dit, il agrée
l'homme en tant qu'appendice du pénis ...Pour ces femmes il devient
alors possible d'avoir une vie amoureuse selon le type masculin de l'amour
d'objet qui peut s'affirmer à côté du type proprement
féminin dérivé, lui, du narcissisme"(12).
Mais à tous moments, Freud le souligne, il peut y avoir régression
du désir d'enfant au désir de l'organe et aussi bien,
régression de l'amour pour l'homme au pénis de celui-ci. 2- Dans la régulation du développement qui donne sa ratio à ce premier rôle, à savoir l'installation dans le sujet d'une position inconsciente sans laquelle il ne saurait s'identifier au type idéal de son sexe, ni même répondre sans de graves aléas aux besoins de son partenaire dans la relation sexuelle, voire accueillir avec justesse ceux de l'enfant qui s'y procrée"(13). 1925 - Effets structuraux du Pénisneid Une phrase, une
formule extraite du texte de Freud "Quelques conséquences
psychologiques de la différence anatomique entre les sexes"
permet de les repérer d'emblée: "Elle a vu cela,
elle sait qu'elle ne l'a pas, elle veut l'avoir". Elle permet en
effet de répartir les trois champs distincts de la névrose,
de la psychose et de la perversion avec l'aide ce ces trois verbes :
Voir, savoir, avoir. Freud annonce, dans
cet article, pour la première fois, sa découverte du pré-Oedipe
de la petite fille, ce qu'il appelle la longue préhistoire du
complexe d'Oedipe qui est caractérisée par les liens particulièrement
intenses de la petite fille à sa mère. Par contre, lorsque
la prise en compte de la privation phallique est assurée, lorsque
la petite fille admet ne pas l'avoir, Freud décrit alors toute
une série de conséquences psychologiques d'une très
grande importance : blessure narcissique, sentiment d'infériorité. Donc premier point acquis, premier effet, abandon de la masturbation. Deuxième point, l'envie du pénis détermine maintenant un changement d'objet, le passage de la mère au père qui est, à son tour, élu comme objet d'amour. Freud évoque, à nouveau, le complexe de masculinité à la fin de l'Oedipe : "Lorsque plus tard ce lien au père fait naufrage et doit être abandonné, il peut céder devant une identification au père par laquelle la fille revient au complexe de masculinité, auquel elle se fixe éventuellement". Avec ces quatre
verbes, voir, savoir, avoir et vouloir, En effet si nous reprenons cette phrase : "Elle a vu. Elle sait qu'elle ne l'a pas. Elle veut l'avoir", avec ces trois verbes, nous pouvons inscrire sur un tableau les trois registres de la psychose, de la perversion et de la névrose :
de Freud à Lacan La phrase de Freud
se révèle, non seulement fructueuse, pour décrire
les conséquences psychologiques de la différence anatomique
entre les sexes et ses effets sur les trois registres de la psychose,
névrose et perversion, mais elle a encore une autre efficacité
si nous la complétons de cette adjonction : "Pour pouvoir
l'être". J'ai choisi un rêve qui explicite cette nouvelle formulation et donc ce passage des élaborations théoriques de Freud à celles de Lacan. C'est le rêve de Renée, une analysante de Maurice Bouvet, rêve qui est le plus explicite quant à ce désir de l'avoir pour pouvoir l'être. Le rêve des lampions L'histoire de Renée est donc racontée par Maurice Bouvet dans un article intitulé "Incidences thérapeutiques de la prise de conscience de l'envie du pénis dans la névrose obsessionnelle féminine"15. Cette observation a été, par la suite, très longuement commentée par Lacan dans son séminaire "Les formations de l'inconscient", justement pour démontrer ce passage de l'envie du pénis au désir du phallus. Cette modification théorique ou conceptuelle est nécessaire puisqu'elle permet aux analystes de franchir un obstacle, les impasses de la fin d'une analyse, lorsque, selon l'aveu de Freud, elle vient s'échouer sur le roc du complexe de castration, sur l'irréductible de l'envie du pénis et y faire naufrage. Cette formule, "elle veut l'avoir pour pouvoir l'être" indique donc les raisons de cette transmutation nécessaire du pénis - en tant que simple organe - au Phallus, en tant que celui-ci devient le symbole de ce qui manque à la mère, de ce qui la fait désirante. Renée était
donc obsessionnelle. Dés la puberté, elle vivait dans
la crainte d'étrangler son père ou de jeter des épingles
dans le lit de ses parents. Devenue adulte, elle souffrait d'obsessions
tout à fait typiques, craintes d'empoisonner les siens avec des
rognures d'ongles, craintes de contracter, elle-même la syphilis,
et de contaminer ainsi ses enfants. Un rêve fait en cours d'analyse
nous mène au cur de la structure de sa névrose obsessionnelle,
y manifestant en clair son désir d'avoir le phallus pour pouvoir
être l'objet phallique de sa mère, celui qu'elle aurait
préféré entre tous. Bouvet raconte: "Elle
produisit... successivement deux ou trois autres rêves dans lesquels
son désir d'identification masculine avec possession phallique,
et la signification de ce désir, dans le cadre de ces relations
avec sa mère, étaient exprimés clairement. En voici
un exemple: "Je fais réparer ma chaussure chez un cordonnier,
puis je monte sur une estrade ornée de lampions bleus, blancs,
rouges, où il n'y a que des hommes - ma mère est dans
la foule et m'admire".
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